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en deçà de Hellâh, en suivant un chemin frayé vers l’ouest. Les Arabes l’appellent de deux noms : Babel qui paraît être resté traditionnellement, et Mudjelibèh qui, dans leur langue, signifie ruiné de fond en comble. Elle se présente sous la forme d’un vaste plateau rectangulaire, du sommet duquel se sont éboulées, sur les quatre côtés, des terres qui forment tout autour un plan incliné dont la base est très-étendue. En gravissant ces pentes où les pluies ont creusé une multitude de ravins, on trouve des débris de briques et des apparences de constructions sur les angles, qui font présumer que cet édifice était flanqué de tours. En étudiant ce monticule, on reconnaît qu’il a été élevé avec des briques séchées au soleil, et que ses revêtements ont dû être faits avec des matériaux plus solides, peut-être des pierres, ou, à défaut d’elles, des briques cuites. Je trouvai plusieurs fragments de ces dernières portant des inscriptions et encore enduites de bitume. La longueur du plateau est de cent soixante-dix mètres, sa largeur de cent soixante, et sa hauteur de trente-six à quarante. Autour quelques mouvements de terrain qui se succèdent parallèlement à sa base, font penser qu’ils pourraient se rapporter à une enceinte dans laquelle ce monument aurait été enfermé. On y trouve également des débris de briques. — Le nom de Babel, qui est resté à cette éminence, indiquerait-il la fameuse tour dont parle l’Écriture, et le temple de Bélus, spolié et renversé par Xerxès ? — On sait que de tous les édifices de Babylone celui-là était le plus grandiose ; et la ruine appelée par les Arabes Mudjelibèh est celle qui présente aujourd’hui les vestiges les mieux accusés.

Au sud du Mudjelibèh on voit une autre éminence que les Arabes distinguent sous le nom de Kasr ou château, palais. La base en est très-irrégulière, mais très-étendue ; elle n’a pas moins de huit cents mètres de circuit. Son état actuel offre plutôt l’aspect d’un monticule naturel que celui d’une ruine. Cependant, çà et là, on y découvre quelques arrachements de murs en briques fortement liées entre elles par une couche de chaux et de cendrée ou par du bitume ; mais ces restes de constructions ont été tellement exploités par les habitants de Hellâh, qui, depuis des siècles, en arrachent les briques cuites pour bâtir leurs propres maisons, qu’il est impossible de reconnaître une forme ou un plan quelconque. On n’oserait, en effet, se hasarder à prendre pour des galeries antiques les excavations que l’on rencontre sur ce sol tourmenté, et qui ne sont autre chose que des espèces de carrières ouvertes par les Arabes pour extraire des matériaux qu’ils y trouvent tout prêts à employer.

De l’autre côté de l’Euphrate, au delà de Hellâh, on distingue aussi quelques mouvements de terrain semblables à ceux de la rive gauche. Or, on sait que Babylone s’étendait de chaque côté du fleuve, et que la reine Nitocris fit construire un pont pour joindre les deux quartiers de la ville. Mais les éminences de la rive droite ne présentent aucun intérêt, à l’exception de celle qui est la plus éloignée et se trouve à neuf kilomètres de Hellâh. Sur cette éminence qu’on appelle Birs-Nemrod ou Bourdj-Nemrod, tour de Nemrod, est le monument qui, seul, soit resté debout au milieu de cette complète destruction. Cependant, si l’on en croit son nom, il devrait être le plus ancien, et remonter au fondateur de Babylone. Le monticule qui le porte s’élève à soixante mètres au-dessus de la plaine ; il a cent quatre-vingt-quatorze mètres en longueur et cent cinquante mètres en largeur. Sa base a la forme d’un rectangle. Au sommet et presqu’au centre, est debout un pilier massif entièrement construit en briques semblables à celles qu’on trouve sur les autres points. De distance en distance, et symétriquement disposées, sont des ouvertures dont le vide traverse l’épaisseur du pilier, mais dont on ne s’explique pas le but. Cette masse, évidemment incomplète, s’élève à peu près carrément au-dessus du sommet du monticule, à une hauteur de dix mètres. Vers l’angle sud-ouest, au pied de la face occidentale, se voient divers fragments et arrachements de maçonnerie qui ont dû appartenir à des arceaux de voûtes circulaires dont les briques paraissent avoir éprouvé l’action d’un incendie.

À une très-petite distance de là, dans la direction de l’ouest, s’étend, du nord au sud, la nappe d’un lac d’eau douce. Là, comme sur beaucoup d’autres points, sont justifiés les récits d’Hérodote. Ce lac rappelle, en effet, celui que cet historien raconte avoir été creusé par la reine Nitocris pour y introduire les eaux de l’Euphrate, et dont elle profita pour détourner ce fleuve, afin de construire les digues et les quais entre lesquels elle voulait le contenir, ainsi que le pont qui devait réunir les deux quartiers de Babylone. Quelle qu’ait été la masse d’eau qui fut à cette époque détournée de son cours habituel vers ce point, il est difficile de croire que ce lac s’y soit formé alors et s’y soit toujours maintenu depuis. Mais il est plus probable qu’un abaissement naturel du sol entre ses rives et celles du fleuve y porte les eaux de celui-ci dans la saison ou elles débordent, et en assez grande abondance pour qu’il en reste d’une année à l’autre.

On voit que Babylone qui, dans les siècles passés, fut la plus grande ville de l’univers, la tête et l’âme d’un des plus vastes empires, dont la splendeur même attira la ruine, est aujourd’hui celle dont il reste le moins de traces. Depuis le jour où Cyrus s’en empara, elle ne fit que déchoir. Passant d’un vainqueur à l’autre pour changer encore de maître, elle finit par devenir une esclave dont aucun ne se souciait plus. La mort d’Alexandre lui porta un coup funeste. Son lieutenant Séleucus, à qui elle était échue en partage, lui donna une rivale, et Séleucie fut pour Babylone ce que Ctésiphon devait être plus tard pour Séleucie. De déchéance en déchéance, la ville s’est vue devenir et ne plus être qu’un nom, qu’un souvenir. — Où sont ses palais, ses jardins suspendus, ses temples, ses murailles ? — Le voyageur cherche en vain leurs vestiges ; rien ne le guide pour les découvrir, il n’en reste pas même des ruines ; et au milieu du désert sans limites, où brillait d’un si grand éclat la ville de Sémiramis, c’est à peine si quelques tertres informes indiquent la place où fut cette capitale du monde antique. Sur ces bords de l’Euphrate, où se