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chés, et après leur avoir coupé la retraite en éloignant et cachant leur embarcation, ils les firent prisonniers et les emmenèrent sur la grande terre. Ce jour fut le terme des misères d’un autre des matelots.

Dépouillés de tous leurs vêtements, nos malheureux compatriotes menèrent jusqu’au 11 octobre la vie misérable des sauvages, ou plutôt une vie plus misérable encore, puisqu’ils avaient en moins la liberté. Les naturels les gardaient à vue dans leur campement, leur jetant une pitoyable nourriture, quand la récolte de provisions avait été bonne, leur donnant une ration insuffisante ou même rien, quand ils étaient réduits eux-mêmes à une disette momentanée. Ces sauvages, dont le portrait tracé par le capitaine P… est celui que donnent les ethnologistes qui ont visité la côte septentrionale d’Australie (grosse tête fort laide, peau noire, membres longs et grêles, ventre proéminent) vivent en petites tribus[1].

L’équipage du Saint-Paul attaqué par les indigènes de l’île Rossel. — Dessin d’Hadamard.

La tribu dont nos compatriotes étaient prisonniers se composait de quatre-vingts individus environ, habitant des huttes faites de branches d’arbre garnies de leur feuillage. Ces Australiens s’écartent peu du rivage et vivent de poissons, de tortues dont il y a grande abondance sur la côte, de coquillages, de fruits sauvages et de racines. Ils n’ont aucune culture ; la canne à sucre dont ils mangent les tiges croît spontanément.

Les femmes paraissent avoir une grande influence parmi eux, chose remarquable et tout à fait extraordinaire chez des sauvages. — Chaque matin une matrone, qui paraissait être investie du commandement, réveillait le camp, et appelant chaque individu par son nom, lui imposait sa tâche. Cette tâche consistait pour chacun à se mettre en quête de vivres, suivant son aptitude et la direction qui lui avait été assignée.

Ces sauvages ne se montrèrent pas très-cruels, et bien que nos compatriotes aient eu à subir quelques mauvais traitements, que l’un d’eux même ait succombé à la suite de coups reçus dans une tentative d’évasion, le malheur et les souvenirs de l’île Rossel les avaient rendus si patients qu’ils se félicitaient presque de l’hospitalité des Australiens. Du reste, cette captivité, qui semblait devoir leur enlever toute chance de revoir la patrie fut au contraire leur salut.

En effet, le 11 octobre apparut en vue du rivage une goëlette portant pavillon anglais. Les prisonniers firent des signaux qui furent aperçus, et bientôt ils étaient recueillis par le capitaine Mac-Farlane, qui traita de leur

  1. Ce portrait, reproduit par la plupart de ceux qui ont écrit sur les Australiens et qui est devenu pour ainsi dire leur signalement, a été beaucoup trop généralisé, ainsi que le Tour du monde l’a déjà démontré (voy. t. II, p. 186, et t. III, p. 97 et 100). L’erreur tient à deux causes : d’abord à ce que les premiers Australiens vus par des Européens étaient précisément ceux qui habitent les bords du détroit de Torrès et auxquels la description est