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rins, dont les titres furent très-difficiles à placer. On commença modestement avec le Franz I, construit près de Vienne en 1830. Comme un dividende de neuf pour cent se trouva au bout de l’exercice, les actionnaires encouragés décidèrent la construction de deux autres navires ; ce qui parut une témérité grande. En 1838, le capital avait été porté à deux millions de florins et la compagnie avait sept bateaux en activité. On descendait jusqu’à Pesth ; on remontait jusqu’à Lintz, où arrivaient les bateaux d’une compagnie bavaroise fondée dans le même temps. Cette fois on déclara qu’on avait atteint les dernières limites de l’audace et du possible.

Mais le commerce prenait par toute l’Europe un essor prodigieux ; les Principautés danubiennes révélaient leur fécondité ; l’Orient paraissait se ranimer ; Odessa et Trébizonde, dans la mer Noire, Smyrne et Alexandrie, dans la Méditerranée orientale, grandissaient chaque jour ; l’Autriche qui essayait, à l’aide du Lloyd de Trieste, si habilement établi, de supplanter notre pavillon dans les échelles du Levant et qui y est parvenue, songea à disputer la mer Noire aux Russes et aux Anglais. Pour cela, il fallait être maître du Danube, par le commerce du moins, si on ne pouvait l’être encore par la politique et les armes. Il fut décidé qu’on établirait un service au-dessous des Portes-de-Fer, et Constantinople fut désignée comme le port d’arrivée des bateaux du bas Danube. Lorsque Mahmoud voulut visiter les provinces septentrionales de son empire, ce fut à bord d’un bâtiment du Lloyd, la Maria-Dorothea, qu’il navigua sur le Danube. Il y avait juste trois siècles que les sultans n’avaient vu leur grand fleuve. Le dernier qui l’eût remonté était Soliman le Magnifique, mais à la tête de deux cent mille hommes et pour assiéger Vienne. Son successeur le parcourait en touriste et comme passager d’un navire autrichien.

Pont de Ratisbonne (voy. p. 207).

La compagnie n’était pas si hardie que le gouvernement : elle s’exécuta pourtant, commença par un déficit et finit par des dividendes qui ont monté en 1855, année exceptionnelle, il est vrai, jusqu’à seize pour cent.

En 1857, le premier fonds social de cent mille florins était devenu un capital de trente millions, et le Franz I, s’il vit encore, pourrait se faire escorter d’une flottille de cinq cents navires de toute espèce, la plupart en fer[1].

Jusqu’à l’année 1846, on n’avait pas osé franchir les Portes-de-Fer avec de grands navires, et c’était un attelage de cent vingt bœufs qui, à la remonte, traînait le bâtiment à travers les brisants. Un petit vapeur, le Louis, s’y risqua et réussit ; un gros suivit. Le problème était résolu ; tous passent aujourd’hui, du moins tant que les eaux ne sont point trop basses, et l’on peut, sans quitter le fleuve, même depuis Pesth sans quitter le bateau, aller maintenant de Donauwerth à Galatz, où les navires du Lloyd attendent les marchandises et les voyageurs pour les porter dans toutes les échelles du Levant. En cent huit heures on va de Paris à Constantinople. Il en fallait à peu près le double, il y a quatre-vingts ans, pour aller de Paris à Lyon.

V. Duruy.

(La suite à une autre livraison.)



  1. En 1856, la compagnie possédait quatre-vingt-dix-sept navires à roues et dix-huit à hélices, trois cent vingt-sept transports pour les marchandises, vingt-six pour le bétail, trente-deux pour le charbon, etc.