Page:Le Tour du monde - 06.djvu/312

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sabia, coronada, y jamas acabada de celebrar ciuda de Valencia del Cid, c’est-à-dire la très-noble, célèbre, antique, loyale, insigne, magnifique, illustre, savante, couronnée, et jamais assez célébrée ville de Valence du Cid. Tels sont les modestes titres que lui donnent ordinairement ses chroniqueurs ; cette longue énumération paraît peut-être tant soit peu emphatique : cependant il n’est guère de villes d’Espagne qui ne s’attribuent une kyrielle d’épithètes semblables. Valence, il faut le dire, les mérite mieux que toute autre : son ciel toujours bleu a été célébré par les poëtes arabes. Où trouver en Europe un climat plus doux que le sien ? Les arbres des tropiques y croissent en plein air, et on y cueille au mois de décembre des primevères et des violettes ; l’hiver y est à peine connu, et un auteur assure qu’on n’y a vu que deux fois en cinq siècles des gelées blanches et des brouillards.

L’entrée de Valence, avec ses murs d’enceinte crénelés, ses tours à mâchicoulis, présente tout à fait l’aspect d’une ville moresque ; les rues sont étroites et tortueuses, et les maisons, blanchies à la chaux suivant l’usage arabe, sont toutes ornées de balcons, auxquels on voit apparaître quelques brunes Valenciennes à moitie cachées derrière de longs rideaux d’étoffe rayée ou de lourdes nattes de jonc qu’on appelle esteras ; d’une maison à l’autre sont tendues de grandes toiles, tendidos, comme dans quelques villes du midi de la France.

Il est peu de provinces en Espagne qui aient conservé un caractère moresque aussi tranché que Valence. Le costume, notamment, doit avoir fort peu changé depuis plusieurs siècles ; celui des paysans, parfaitement approprié au climat, fait ressortir on ne peut mieux la couleur bronzée de leur teint, basané comme celui d’un Bédouin ; la coiffure est des plus simples, elle se compose d’un mouchoir aux couleurs éclatantes, roulé autour de la tête et s’élevant en pointe ; c’est évidemment un souvenir du turban oriental ; parfois ils y ajoutent un chapeau de feutre ou de velours noir, aux bords relevés comme ceux du sombrere calanes des Andalous, mais à la forme plus pointue ; quelques-uns de ces chapeaux atteignent des dimensions invraisemblables ; la chemise est attachée au cou par un large bouton double, comme en portent encore nos paysans dans certaines provinces reculées. Il est rare que les Valenciens portent la veste, mais les jours de fête ils mettent le gilet de velours vert ou bleu aux nombreux boutons formés de piécettes d’argent ou de cuivre argenté ; quant au pantalon, il est remplacé par un très-large caleçon de toile blanche, zaraguelles de lienzo, qui rappelle beaucoup les fustanelles des Albanais et qui flotte jusqu’à la hauteur du genou ; les araguelles sont retenues par une large ceinture de soie ou de laine, rayées de couleurs éclatantes ; les bas, quand ils en portent, sont sans pied, ce qui les fait ressembler aux cnémides des guerriers antiques ; quant à la chaussure, elle consiste invariablement en alpargatas de chanvre tressé et battu, qu’on appelle aussi espardines, laissant le cou-de-pied à découvert, et fixées au moyen d’un large ruban bleu qui s’enroule autour de la jambe comme les cordons d’un cothurne de tragédie. Mais la partie la plus importante, la plus caractéristique du costume, c’est la mante, longue pièce d’étoffe de laine aux raies de couleurs éclatantes : un Valencien ne sort jamais sans sa mante, qu’il porte tantôt roulée autour du bras, tantôt négligemment jetée sur l’épaule, ou bien drapée sur la poitrine, appuyant sur un bâton posé derrière le cou ses deux bras nus ; alors les deux bouts retombent de chaque côté en agitant leurs innombrables franges. C’est à Valence que se fabriquent ces mantes, qui sont aussi expédiées dans toute l’Espagne. Ce n’est pas seulement un vêtement : les coins relevés servent à contenir les provisions qu’on a achetées au marché ; s’il faut monter à cheval, on la plie en quatre et voilà une selle des plus élégantes ; la nuit, quand on doit à la belle étoile, ce qui n’est pas rare l’été, on étend sa mante sur le sol et se faisant un oreiller de son coude on s’endort sans plus de façon. Il serait très-difficile de dire ce que peut durer cette mante ; il y en a qui servent probablement plus d’une génération, si on en juge par les tons roussis, par les couleurs indéfinissables qu’elles finissent par acquérir.

C’est au marché qu’il faut voir tous ces laboureurs, labradores de la huerta, apporter leurs oranges encore garnies de feuilles, des régimes de dattes fraîchement cueillis et des grappes de raisin, aux grains énormes et dorés, vraiment dignes de la terre de Chanaan. Ces merveilleux fruits sont vendus par de gracieuses Valenciennes, dont quelques-unes sont remarquablement belles ; leurs cheveux, noirs comme l’aile d’un corbeau, sont roulés en nattes arrondies sur les tempes et ramenés derrière la nuque en un énorme chignon ; ce chignon est traversé par une longue aiguille d’argent doré qui se termine à chaque extrémité par un large bouton orné de fausses émeraudes ou de nombreuses perles fines : pendant notre séjour à Valence, nous allions tous les matins faire notre promenade au marché, et Doré y fit une ample moisson de types ravissants.

Labradores (laboureurs) valenciens.

Les Valenciens ont la réputation d’être à la fois gais et cruels ; je ne sais plus quel poëte, après avoir décrit