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couverte de villages entourés de plantations. C’était au mois d’août de l’année dernière. On parcourut ainsi un espace de deux cents milles ; mais alors un obstacle infranchissable se dressa devant les voyageurs. Des barrières de rochers coupent la rivière et y forment des rapides dont la violence rappelle les cataractes du Nil. Ces rapides se succèdent et s’échelonnent, en quelque sorte, sur une longueur qui n’est pas moins de trente-cinq à quarante milles, c’est-à-dire de cinquante à soixante kilomètres, et M. Livingstone n’estime pas à moins de douze cents pieds la chute totale de la rivière dans cet intervalle. Il fallut transporter le bateau à bras d’hommes jusqu’au-dessus de la cataracte supérieure. Arrivé là, on vit s’étendre devant soi le bassin large et tranquille d’une rivière qui a presque l’apparence d’un lac ; le véritable lac, d’où s’épanche le Chiré, est cependant encore à soixante milles (environ cent kilomètres). On y arriva le 2 septembre.

On était sur le Nyanza. C’est une vaste nappe d’eau, profondément encaissée entre des montagnes hautes de quatre mille pieds au moins, et des plateaux très-élevés ; il ne le cède pas en étendue au Tanganiyka, exploré en 1850 par M. Burton et le capitaine Speke. L’extrémité méridionale du Nyanza, d’après les observations du docteur Livingstone, est par 14° 25’de latitude australe ; et le voyageur estime qu’il doit se prolonger au nord au moins jusqu’au 10e parallèle. Les violentes rafales qui tourmentent les eaux du lac à cette époque de l’année ne permirent pas au petit bâtiment de pousser sa reconnaissance jusqu’à l’extrémité nord ; on s’avança seulement de deux cents milles, en serrant de près la côte occidentale coupée de baies nombreuses, puis l’on redescendit vers le Zambézi.

La Dervâsa du glacier Milum. — Dessin de A. de Bar d’après MM. Schlagintweit.

Le Nyanza est d’une largeur médiocre, surtout dans sa partie méridionale, où il y a une bifurcation. Les eaux en sont douces et très-poissonneuses. Cinq rivières y débouchent du côté de l’ouest dans la partie reconnue par le Pioneer. M. Linvingstone estime que l’altitude du lac au-dessus du niveau de la mer est de douze cents à douze cent cinquante pieds anglais, ce qui revient à trois cent soixante-cinq ou trois cent quatre-vingts mètres. Un autre lac appelé Chirva, comparativement de peu d’étendue, est voisin vers le sud-est de la pointe méridionale du Nyanza. L’intervalle entre le Nyanza et la côte de Mozambique est de trois cent cinquante à quatre cents milles, c’est-à-dire de cent trente à cent cinquante de nos lieues communes, ou en moyenne de six cents kilomètres.

Quoique cette excursion n’ait été qu’une première reconnaissance, et que les circonstances n’aient pas permis aux explorateurs de pousser beaucoup dans les terres qui bordent le lac, M. Livingstone n’a pas laissé d’y recueillir quelques notions dignes d’intérêt.

Les provinces riveraines sont d’un bel aspect et très-populeuses. Vers le sud, à l’ouest du lac, les nègres appartiennent à une population appelée Maravi ; en montant au nord, on longe successivement le territoire des Marimba, des Matoumboka, des Makousa et des Mazité. Ces derniers sont des Zoulous (les Kafres de nos relations), originaires de la partie de la côte qui avoisine Sofala, un peu au sud du delta du Zambézi. Le léger vêtement dont se couvrent ces peuples est fait de l’écorce intérieure des arbres, qu’ils font macérer et battent ensuite pour l’assouplir. Ils sont tatoués sur toutes les parties du corps. Le tatouage le plus ordinaire consiste en longues incisions dont on ramène la peau en dehors, de manière à produire des lignes de cicatrices diversement contournées, d’une ligne à une ligne et demie de largeur. D’autres s’enlèvent des lambeaux de la peau du visage. La lèvre supérieure est