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dont le type s’est conservé jusqu’à nous à travers les siècles, sinon dans sa pureté originelle, du moins assez caractérisé encore pour qu’il ne soit pas permis de le méconnaître. Ce type est celui des premières nations qui s’établirent dans la Nouvelle-Espagne, d’où elles passèrent dans le Canada, la Louisiane, les Florides et le Yucatan, et pénétrèrent dans l’hémisphère sud par les plaines du Popayan et de la Guyane. Les sculptures des Tlascaltèques, des Chichimèques et des Toltèques, les peintures hiéroglyphiques des manuscrits aztèques, nous ont fidèlement transmis ce type qu’on retrouve encore aujourd’hui chez quelques tribus nomades de l’Amérique du Nord, et dans l’Amérique du Sud, chez les Aymaras et les Quechuas et chez un grand nombre d’Antis et de Chontaquiros, tribus sauvages qui vivent sur la rive gauche du Quillabamba Santa Ana, à l’est de la chaîne des Andes.

Bien que de prime abord il puisse sembler surprenant de retrouver au cœur de l’Amérique le type, les institutions et les monuments des anciens peuples de l’Asie, la chose cessera de paraître extraordinaire si l’on examine les divers territoires de ces peuples, situés sur les versants des grandes chaînes, commandant les contrées environnantes du nord, du sud, de l’est et de l’ouest, reliés les uns aux autres de façon à former un tout homogène et compacte, ceux du Zend à ceux des anciens États libres de l’Inde, — les pays des peuples sans rois, — ceux-ci au Bramavartha et à l’Aaryavartha, — pays de Brahma et des Ariens nobles, — ces derniers touchant au Madhya-Desa, pays du centre au delà duquel commençait la population primitive non arienne, tous pouvant communiquer par les provinces de la Perse avec la Chaldée et l’Égypte, par les provinces du Thibet avec l’Indo-Chine et les contrées septentrionales de l’Asie. Jamais, comme on voit, pente géographique ne fut plus naturellement tracée à l’écoulement des peuples. Ces plateaux de l’Iran, du Zend, de l’Aria, réservoirs anthropologiques, sont comme les lacs des régions alpestres dont l’eau peut dormir longtemps immobile, jusqu’à ce qu’une crue subite, phénomène mystérieux, la chasse de son lit et la répande en mille sources.

Des témoignages historiques confirment l’établissement dés Indous dans des contrées situées à l’est de leur territoire, et cela dès l’antiquité la plus reculée. On les voit traverser avec la mousson du nord-est[1] le golfe d’Oman et s’établir dans la partie méridionale de l’Arabie et l’île de Socotora pour y faire le commerce de l’or avec les Égyptiens. Nulle part au contraire il n’est fait mention d’établissements fondés par eux dans les contrées du nord de l’Asie. Il est vrai que, de ce côté, rien n’attirait leur attention ni ne sollicitait leurs instincts commerciaux. Depuis la migration inconnue et contemporaine peut-être des premiers âges du monde, qui conduisit les Misraïtes (fils du Soleil) du cœur de l’Asie dans la vallée du Nil, l’Égypte était restée en possession des traditions et des idées, elle était le centre d’une grande culture intellectuelle et l’entrepôt commercial du monde connu ; sa prépondérance sur les contrées voisines était solidement établie, et les regards des peuples étaient attirés par le rayonnement qu’elle projetait autour d’elle. Ce n’est donc pas à des besoins de civilisation ou de commerce, ou même d’agrandissement territorial qu’on peut raisonnablement attribuer le déplacement des populations ariennes vers les parties septentrionales de l’Asie. Aucun schisme religieux, aucune persécution systématique dont l’histoire fasse mention[2], ne motiva non plus chez elles l’abandon de leurs foyers primitifs. Or, en l’absence de certitudes historiques qui jettent quelque clarté sur les causes de ce déplacement, ne peut-on pas supposer que la pression exercée sur ces populations par les premières conquêtes des pharaons thébains[3], antérieures de neuf siècles à celles de Rhamsès-Meïamoun, conquêtes limitées d’abord aux rives de l’Indus, mais qui s’étendirent ensuite au delà du Gange, et que l’invasion macédonienne compléta plus tard en mettant face à face la civilisation des Hellènes et celle des Indous, ne peut-on pas supposer, disons-nous, que ces graves événements qui changèrent la face du monde, durent agir puissamment sur l’esprit des populations ariennes et déterminer chez elles ces migrations qui nous étonnent et que nous ne pouvons expliquer ?

En abandonnant les plateaux asiatiques où elles avaient pris naissance, ces populations emportèrent, avec l’idée d’un culte primitif, leurs mythes cosmogoniques, leurs cycles de régénération, leurs mœurs, leurs arts, leur industrie et leur langage. Mais les régions nouvelles qu’elles eurent à traverser, les haltes séculaires qu’elles firent en divers lieux, leur contact immédiat avec d’autres peuples, le mélange des races qui dut s’ensuivre, enfin les modifications successives apportées dans leur constitution par l’influence des climats et des lieux où elles séjournèrent, toutes ces causes démoralisatrices, si elles n’effacèrent pas chez ces populations la notion pure du passé, en altérèrent sensiblement la forme. Empruntant aux milieux qu’elles traversaient des formules de langage et des idées nouvelles, elles y laissèrent aussi d’elles-mêmes quelque chose en passant. De là ces analogies et ces dissemblances que nous remarquons aujourd’hui dans la langue et les mœurs des peuples de leur descendance.

Il serait donc peu rationnel de rechercher ailleurs que dans les réions asiatiques la source des grands courants civilisateurs qui ont fécondé l’Amérique pour la première fois ; mais il serait en même temps peu sensé de prétendre que ces courants ont afflué sur le nouveau continent à une seule époque et sous un volume égal.

  1. En malais mussim. Celle du nord-est est désignée par le nom de mussim de Malabar, celle du sud-ouest par celui de mussim d’Aden. Les navigateurs arabes la nommaient maussim, et les Grecs hippalos.
  2. L’établissement du bouddhisme dans l’Inde ne remonte guère qu’à six siècles avant notre ère. Quant aux persécutions dont il fut l’objet de la part des brahmes, persécutions qui déterminèrent les prêtres et les sectateurs de Bouddha à émigrer vers le nord de l’Asie, les historiens leur assignent pour date les premières années de l’ère chrétienne.
  3. Environ deux mille deux cents ans avant l’ère chrétienne.