Page:Le Tour du monde - 07.djvu/343

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après notre départ du San-ghin-dalai, nous descendions une vallée étroite tapissée d’un riche gazon que nos chevaux flairaient avec délices. Plusieurs chameaux étaient à paître à peu de distance, et derrière eux, à une assez grande distance, on entrevoyait des yourtes, spectacle fort agréable pour tout notre monde. Dans le lointain, on découvrait aussi des chevaux pâturant dans des vallons herbeux au delà des yourtes, de même qu’un gros troupeau de moutons dans le voisinage des chevaux. Cette vue nous fit hâter le pas de nos montures vers l’aoul des Kalkas. À notre approche, deux hommes montèrent à cheval et vinrent à notre rencontre, ce qui indiquait de leur part une mission pacifique. Quand notre escorte les eut rejoints, une conversation animée s’engagea entre eux et Tchuck-a-boi, après quoi l’un retourna vers ses gens tandis que l’autre restait pour nous accompagner. Un moment plus tard, nous vîmes trois autres Kalkas venant au-devant de nous ; ils avaient l’ordre de nous guider vers l’aoul. À notre arrivée, un homme âgé prit les rênes de mon cheval et m’offrit la main pour m’aider à descendre, puis il me conduisit à son habitation où se trouvaient deux femmes et quatre enfants.

C’était Arabdan, le chef de l’aoul, qui me recevait et se disposait à exercer l’hospitalité en ma faveur en me présentant une tasse de thé puisée dans une large bouilloire en fer. Le thé était mélangé avec du lait, du beurre, du sel et de la farine, ce qui lui donnait l’apparence d’une soupe épaisse mais non désagréable. Les Cosaques et les Kalmoucks furent admis à partager ce breuvage. Pendant que j’en buvais ma part, je pus examiner notre hôte. C’était un homme grand et mince, âgé de quelque chose comme cinquante ou soixante ans, d’une physionomie brune, les os des joues saillants, les yeux noirs, le nez proéminent et la barbe chétive. Il était vêtu d’un long kalat de soie d’un bleu tirant sur le noir, boutonné sur la poitrine. Autour de sa taille, était attachée, à l’aide d’une boucle d’argent, une ceinture à laquelle pendaient un couteau, un caillou et un morceau d’acier destiné à servir de briquet. Son chapeau avait la forme d’un casque ; il était de soie noire, orné de velours noir et pourvu de deux larges rubans rouges pendant sur le dos de leur propriétaire. Une paire de bottes à hauts talons, de couleur garance, complétaient le costume du chef. L’une des femmes portait un kalat de soie rouge et verte, l’autre une robe de velours noir ; toutes les deux avaient aussi autour de la taille une large ceinture rouge. Leurs chapeaux étaient semblables. Elles avaient les cheveux tressés et flottant sur les épaules en une multitude de petites tresses dont quelques-unes étaient ornées de grains de corail ; bijoux très-appréciés par les beautés mongoles. Elles portaient des bottines très-courtes, à très-hauts talons et en cuir rouge qui les empêchaient de marcher à l’aise et avec agrément. Quant aux enfants, ils n’étaient point surchargés d’habits, mais pour suppléer au manque de ceux-ci, ils avaient été se rouler sur le bord d’une mare fangeuse qui les avait enduits d’une couche d’ocre rougeâtre contrastant avec leur chevelure d’un noir de jais.

Les yourtes de ces populations sont construites comme celles des Kirghis et couvertes de feutre. Mais les arrangements intérieurs diffèrent. Du côté opposé à l’entrée est placée une petite table basse sur laquelle reposent des idoles de cuivre et plusieurs petits vases en métal. Dans quelques-uns sont des grains de millet ; en d’autres du lait, du beurre et du koumis ou lait de jument fermenté. Le côté gauche de la table-autel est occupé par des boîtes qui contiennent des valeurs ; près d’elles sont déposés l’outre au koumis et d’autres ustensiles domestiques. Du côté opposé se trouvent plusieurs piles de voilock ou tapis de feutre sur lesquels repose la famille.

Un mouton avait été tué aussitôt après notre arrivée ; il était déjà en train de bouillir dans la chaudière de fer de la yourte voisine. Le mouton paraissait être l’objet de l’attraction générale parmi le personnel de l’aoul. Il était évident que tout le monde était absorbé dans les préparatifs de la fête. On invita les Cosaques à faire rôtir une partie du mouton à mon intention, en les engageant aussi à en conserver une portion pour notre déjeuner du lendemain. Le souper n’eut pas lieu dans la yourte du chef ; mais hommes, femmes et enfants se réunirent dans une demeure adjacente afin de manger le mouton gras. Tchuck-a-boi avait expliqué à notre hôte que je voulais traverser la plaine jusqu’à la rivière Tess, et l’avait prié de nous fournir des chevaux frais. Le vieillard y consentit, promettant que deux hommes et les chevaux seraient prêts à l’aube et nous transporteraient à un aoul peu éloigné de notre chemin, et le seul que nous rencontrerions avant d’arriver à l’Oubsa-noor ; il était même douteux qu’on y trouvât des Kalkas.

Une nuit tranquille passée dans la yourte du chef et un déjeuner à la pointe du jour nous préparèrent à une longue traite. Le soleil se leva éclatant sur les monts Kanghais, projetant des ombres allongées sur les collines inférieures, et jusque dans la plaine. Fidèle à sa promesse, Arabdan avait fait disposer quatre hommes et seize chevaux pour notre service. Quelle était la distance à parcourir ? Personne ne pouvait le dire. Mais il semblait hors de doute que nous avions une longue course à faire. En prenant congé de mon hôte, je lui offris un fort couteau de chasse de la maison Rodgers. Il en fut enchanté, et prescrivit à ses gens de me conduire sain et sauf à l’aoul de son voisin.

Notre route était au nord-ouest, à travers une plaine onduleuse, couverte d’un gazon inégal qui fournit à nos chevaux une nourriture abondante. En chemin les Kalkas découvrirent une voie conduisant à la ville d’Ouliassotai, à laquelle ils prétendirent qu’on pouvait aller en moins de vingt-quatre heures. Il y a dans cette ville un corps de troupes considérable, sous les ordres d’un commandant chinois. Cette circonstance n’était pas de nature à exciter en moi le désir d’en approcher de trop près. Du reste, mes guides kalkas étaient du même avis.

Durant la matinée, les monts Tangnous étaient restés enveloppés de nuages ; mais quand le soleil monta, les vapeurs du ciel se dissipèrent, ce qui me permit de jouir d’un magnifique coup d’œil. Vus à travers la steppe, à