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qu’on amenait pour les vendre, puis des femmes soigneusement cachées sous leurs voiles, derrière les épais rideaux des palanquins. Quelques malheureux, à demi tués par le voyage et le soleil ardent du désert, étaient couchés en travers de leurs montures, la tête pendant d’un côté, les pieds de l’autre, ballottés, heurtés, épuisés.

Je vis ainsi un vieillard, presque un cadavre, râlant au grand soleil, sans un mouchoir pour lui donner de l’ombre, abandonné seul sur un dromadaire qui le secouait comme un vieux linge.

Enfin parurent le pacha et son état-major, de l’artillerie, des fantassins, puis un palanquin gigantesque sur un chameau monumental. Il portait le suaire qu’on étend tous les ans sur le tombeau du Prophète. Dans ce même palanquin on enferme, je ne sais pourquoi, un fou qui passe sa tête entre les rideaux et tire la langue à la foule. Après lui vient encore, sur un second chameau, un autre fou presque nu qui se livre à toutes sortes d’excentricités. La foule, quand ils passent, salue avec respect.

Intérieur de maison à Hama (p. 59). — Dessin de A. de Bar d’après une photographie de M. G. Hachette.

Le quartier chrétien était le plus riche et le plus beau de la ville ; il n’en reste aujourd’hui que des maisons écroulées, des églises en ruine, des murs noircis par la fumée, des marbres brisés ; il est difficile de voir quelque chose de plus triste : rien n’est debout, et l’on sent une haine impitoyable, à la façon dont tout a été ravagé et anéanti.

Les cadavres sont restés en grande partie ensevelis sous les décombres, et, chose horrible à penser, on a remarqué qu’après les massacres, les chiens du bazar avaient subitement et considérablement engraissé. J’avais déjà vu, pendant la guerre, Zalèh en ruine et Deïr-el-Kamar sanglant, encombré de morts. Je retrouvai ces mêmes tableaux à Damas.

Des intérêts matériels peuvent engager les Anglais à soutenir la Porte Ottomane ; mais je crois qu’en présence de ces ruines, tout honnête homme, à quelque opinion qu’il appartienne, ne peut former qu’un vœu : celui de voir la Syrie et le Liban délivrés enfin de la race turque.

E. Lockroy.