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Traversée d’un chenal d’eau libre sur un fragment de glace (voy. p. 214).



NAUFRAGE DU LIEUTENANT KRUSENSTERN

DANS LES GLACES DE LA MER DE KARA[1].


(VOYAGE D’EXPLORATION AUX CÔTES SEPTENTRIONALES DE LA SIBÉRIE.)
1852. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.


I (Suite.)

Conseil. — On décide qu’on abandonnera la goëlette.

Le 2, la brise tomba : profondeur de vingt brasses ; à deux heures du matin la glace commença à sentir le fond. La goëlette comprimée violemment s’inclina de trente degrés sur bâbord, son avant s’éleva de cinq pieds. Elle craquait horriblement ; on annonça deux pieds d’eau dans la cale arrière.

L’ordre fut donné de quitter le navire et d’aller sous la tente ; mais la glace cessa de se mouvoir, la voie d’eau n’augmenta point, et, comme on était mieux à bord que sous la tente, tout le monde se rembarqua quelques instants après. Le mouvement d’ailleurs étant arrêté, il y avait maintenant pour quelques heures de tranquillité.

Au jour, on vit avec étonnement que la grande glace à laquelle le navire était amarré depuis son entrée dans la banquise était fendue de part en part. C’était pourtant une des plus fortes ; si dans un choc elle se brisait ainsi, que serait-ce dans les tempêtes de l’hiver ? Le lieutenant Krusenstern, qui avait un moment pensé à hiverner dans la banquise, au cas où la goëlette viendrait à périr, modifia ses idées ; il reconnut que la seule espérance de salut était de chercher à gagner la côte, et, dès lors, il se prépara peu à peu à ce chanceux voyage.

Dans la journée, il fit beau ; on put faire des observations qui démontrèrent que la terre n’était pas à plus de dix-huit ou vingt milles ; le thermomètre marquait + 1° du thermomètre de Réaumur.

Le 3, on commença à dégréer le navire et à vider la cale ; à huit heures du matin, la glace se mit en mouvement ; la membrure gémissait tristement, plusieurs barreaux furent rompus, le pont se courba tout à fait. On débarqua tous les instruments ; le reste des provisions, les effets de l’équipage, tout fut arrimé sous la tente ou dans les embarcations. À quatre heures, le mouvement s’arrêta ; la goëlette était entièrement sur le côté, son avant à sec et l’arrière dans l’eau jusqu’au tableau.

Le 4, on continua à vider le navire.

Le 5, la température se refroidit brusquement : le thermomètre marqua moins cinq degrés Réaumur. Il y eut dans la nuit une magnifique aurore boréale. La goëlette ne bougeait plus, la ligne de sonde restait perpendiculaire et marquait toujours la même profondeur. Le

  1. Suite et fin. — Voy. page 203.