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se forme. Voici l’omnibus traîné par des dromadaires. Voici le cheik de ce genre de transport, plus fier encore au soleil levant, qui fait chatoyer les orfévreries de sa selle et les dorures de sa housse. Voici les chevaux réunis devant la demeure de Sa Seigneurie anglaise. Dirigeons nos pas de ce côté et comptons pour arriver à temps sur les soins que sir Henry donne certainement à sa santé sinon à sa toilette. Il me semble que sa casquette noire, de forme originale, son paletot d’étoffe sombre et de coupe indifférente, doivent étonner les Arabes et leur donner une singulière idée de l’Europe. La puissance turque ne se manifeste jamais que rehaussée d’un splendide cortége et de vêtements éclatants. Ils doivent avoir peine à comprendre l’air mesquin et vraiment piteux de nos accoutrements et de nos allures.

Le but de notre cavalcade est le canal maritime à la tranchée d’El-Guisr. Six kilomètres nous en séparent. C’est là ne nous devons nous embarquer pour gagner la Méditerranée. En effet la tranchée ouverte sur le lac Timsah n’a pas encore établi une communication navigable avec ce lac qu’il faut d’abord emplir d’eau. On a donc construit au débouché du canal un barrage et un déversoir qui donne au lac de l’eau en quantité suffisante pour en élever graduellement le niveau jusqu’à la hauteur du canal, sans déterminer une chute qui changerait ce canal en torrent et suspendrait la navigation. C’est pourquoi notre caravane ne peut s’embarquer sur le lac et doit remonter un peu au-dessus. D’ailleurs El-Guisr où nous allons promet un spectacle auquel il est bon de se préparer par une marche dans le désert.

Barques du lac Menzaleh.

La voiture s’ébranle, les chevaux l’entourent et la précèdent. Nous partons dans le même ordre que la veille. Une route est tracée entre les dunes de sable. Bientôt nous sommes en plein désert, et n’était le voisinage des grands travaux que nous ne voyons pas, mais que nous devinons derrière les monticules rougeâtres, nous pourrions nous croire lancés au sein du Sahara, loin de toute habitation humaine et de toute civilisation.

Le trajet n’est pas long. La course a duré une heure à peine et voici que nous entrons dans une sorte d’avenue que dessinent des trophées dressés de distance en distance et que termine un arc de triomphe. Les trophées sont ingénieusement formés d’outils de toute espèce entourés de branches encore verdoyantes. La porte triomphale, construite en bois et en toile, était destinée au vice-roi d’Égypte dont la visite prochaine avait été annoncée. Nous passons à côté et nous arrivons au pied d’un kiosque très-élégant.

Il a été élevé par ordre de Saïd-pacha et pour son usage. La façade est tournée vers le lac et le balcon du premier étage est assez élevé pour offrir à la vue un splendide horizon. Le bassin du lac s’allonge entre les dunes qu’il contourne et derrière lesquelles il s’échappe et se dissimule. Le soleil qui se lève resplendissant à l’est couvre de ses feux une partie de la nappe d’eau, tandis que l’autre partie reste plongée dans l’ombre projetée par les dunes. Le lac étant agité par le vent léger du matin, la partie éclairée ressemble à un diamant dont chaque facette renvoie les rayons. Il est impossible de fixer longtemps la vue sur ces eaux où le