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plumes d’autruche, des karosses, de l’ivoire qu’il peut céder aux marchands pour des objets qui le séduisent et qui dépassent tous ses rêves.

Notre dîner se composa d’un rôti de girafe, nageant dans la graisse. Les entrailles de la bête sont ici les morceaux de choix, et, préjugé à part, je vous assure que les Anglais ne savent pas ce qu’il y a de meilleur dans l’animal. À Rome, j’ai toujours fait comme à Rome, toujours mangé (quand je l’ai pu) ce qui m’a été servi, fermant les yeux si l’estomac se soulève, et pour la saveur, le fumet, la richesse du goût, rien n’approche des parties que recherchent les Cafres. Nous faisons rire ceux-ci en jetant ce qu’il y a de plus fin dans le gibier. Toujours est-il que le dîner me parut excellent. Nous l’arrosâmes d’un grand verre de Xérès, me réservant de prendre le thé quand je reviendrais au wagon.

Peut-être une femme délicate se serait-elle offusquée des moyens en usage pour fixer les couvercles sur les différents plats ; mais l’idée est très-bonne ; de cette manière tout est servi chaud et rien n’est répandu. Chaque objet était d’une propreté scrupuleuse, et une foule d’esclaves, armées d’une queue de chacal, nous préservaient des mouches. Le repas terminé, je troquai mon chapeau avec le chef contre un large pantalon de cuir ; puis il fallut y ajouter de la verroterie, un couteau, une fourchette et une cuiller. Le scélérat était sans conscience ; après m’avoir extorqué la promesse de lui donner une seconde fois du thé (je lui avais envoyé une livre en arrivant), il commanda aussitôt d’aller chercher une énorme jarre qui en aurait contenu au moins deux caisses, et il ne put retenir son indignation en voyant le peu que j’y avais mis. Ce fut alors de la farine qui devint l’objet de ses demandes ; et quand je lui dis que j’en échangerais volontiers contre du grain, il me répondit qu’il n’y en avait pas dans ses États. Il ment avec audace, et ne fait qu’en rire lorsqu’on découvre ses mensonges. On ne peut néanmoins lui refuser un excellent caractère ; mais tous les Cafres ont beaucoup d’empire sur eux-mêmes ; il est bien rare que dans leurs disputes ils en viennent aux coups. »

Peu de temps après il fallut partir. L’un des bœufs du chasseur venait d’être frappé de la maladie, et Léchulatébé, craignant pour son bétail, ne voulut pas permettre à Baldwin de rester davantage. Il y eut de beaux jours, et tant que la petite caravane côtoya la rivière, la marche fut un plaisir : mais une fois qu’on eut dit adieu à la Zouga, la soif revint torturer les voyageurs. « Nous ne sommes plus qu’à trois journées des Bamangouatos, écrivait Baldwin quarante jours après son départ du lac Ngami ; mais nous ne sommes point au bout de nos peines ; on m’assure que d’ici là nous n’aurons pas à boire. C’est la plus mauvaise saison de l’année pour franchir ce désert ; il y a bien des mois que la pluie n’y est tombée. Depuis le 17, nous voilà au 31, nous avons trouvé cinq fois de l’eau ; mais nos bœufs n’ont pas pu boire toutes les fois. Il est arrivé à mes hommes, partis d’avance pour retrouver d’anciennes fosses, de creuser jusqu’au roc, et de n’obtenir qu’une flaque d’eau boueuse d’un demi-pouce de profondeur. Le temps a été frais, le vent léger ; nous avons marché toute la nuit quand il y avait de la lune et fait ainsi beaucoup de chemin. J’ai pris à l’orient, où, dit-on, les réservoirs sont moins desséchés ; mais cela nous détourne beaucoup. L’excès de fatigue, joint à une inquiétude incessante, a ramené la fièvre ; j’ai été fort malade pendant trois jours. Il fallait néanmoins avancer, et les cahots, le grincement du vieux wagon rendaient tout sommeil impossible. Malgré ma faiblesse, j’ai tué ce matin le plus beau mâle d’une bande considérable d’élans ; une bête magnifique, plus pesante que le bœuf le plus gras ; elle a fourni autant de viande qu’il faudrait pour me nourrir jusqu’au Natal ; mais avec tous mes noirs, cela ne durera pas huit jours.

Marche au clair de lune.

11 août. — Il s’en est fallu de bien peu aujourd’hui que nous ne fussions brûlés ; nous traversions une forêt de bauhinias, tapissée d’une couche épaisse de grandes herbes sèches et blanches ; le feu avait été mis derrière nous à cinquante places différentes, et dans la direction du vent. Poussé par une forte brise, l’incendie courait avec une rapidité effroyable ; déjà depuis quelque temps la fumée nous enveloppait, lorsque je vis des lueurs rouges percer le nuage, et l’on entendit bientôt les flammes rugir et petiller. Devant nous s’ouvrait une clairière, à deux cents pas environ ; j’y courus avec la vitesse que donne le péril, et mis le feu aux grandes herbes à dix ou douze endroits. Immédiatement le nouvel incendie gronda, et les chariots, traversant la fumée d’un pas rapide, atteignirent la place que j’avais faite. À peine y étaient-ils, que les flammes se rejoignaient dans une étreinte suprême et s’éteignaient faute d’aliment. La chaleur du sol était si grande, que les semelles de nos souliers furent en partie brûlées ; nos pauvres bœufs levaient chaque pied tour à tour, ne pouvant pas y tenir, en dépit du sable que nous jetions sur le brasier.