Page:Le Tour du monde - 10.djvu/223

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le gouverneur ova délègue quelques pouvoirs. Celui-ci, nommé grand juge, est en même temps l’intermédiaire des indigènes et du commandant au moyen des chefs de second ordre.

Le grand juge seul a le droit de posséder dans son village le Lapa, case, auvent, ou hangar où se tiennent les kabars et où il rend la justice ; à côté se trouve le mât de pavillon sur lequel se hisse l’étendard de la reine, lorsque le commandant arrive ou qu’un navire est en vue.

Le grand juge tranche toutes les contestations entre Malgaches, qui ne peuvent en appeler du jugement qu’à l’autorité ova : mais cet appel n’est pour eux qu’un sujet de ruine.

Dans ce cas, le commandant cite les parties à son tribunal ; il se fait assister par des officiers ovas et tous se réunissent dans le Lapa. Une fois l’affaire expliquée, le jugement rendu est exécutoire sur l’heure. Si le condamné s’y refuse ou s’il est absent, on lui dépêche un officier accompagné d’une foule d’Ovas ; cet officier est lui-même précédé par un homme, porteur d’une sagaie à lame d’argent, appelée tsitia lingua (qui ne veut pas de mensonge, ou qui ne plaisante pas).

Lorsque le porteur de la sagaie arrive devant la demeure de celui auquel elle est envoyée, il plante la sagaie en terre, et le condamné doit se montrer soumis et respectueux envers tous les exécuteurs de la sentence ; il les fait entrer dans sa case, et comme première mesure, il est tenu de leur fournir des vivres et d’offrir à chacun comme présent de bienvenue un morceau d’argent, dont la valeur est proportionnée au grade des assistants.

Village de Kisuman (côte nord-ouest). — Dessin de E. de Bérard.

Cela fait, on entre en matière, les officiers réclament d’abord les frais de justice, dont ils s’adjugent une bonne part, et si l’avoir du malheureux ne suffit pas à payer l’amende et les frais, il est vendu lui et les siens.

En dehors de ce genre de procédure, les Ovas infligent à leurs justiciables des peines corporelles d’une atroce barbarie.

1o Coups de bâton, lorsque dans la corvée le Malgache travaille avec nonchalance.

2o Alors même qu’il s’agirait d’un chef, exposition au soleil pendant un certain nombre de jours.

Le supplice est alors des plus raffinés : les mains du patient sont réunies à ses genoux par un brin de jonc ; si par sa faute, le jonc vient à se rompre, la peine est doublée, et pendant le temps qu’elle dure, le Malgache doit rester tête nue, quelle que soit la température, depuis le matin jusqu’au soir, et quelle que soit la durée de la peine.

Admirable justice ! ruine ou torture, le vaincu ne saurait y échapper ; le commandant a soin que le grand juge soit toujours sous sa dépendance ; il en fait ordinairement l’oppresseur de ses compatriotes ; le malheureux n’est jamais que le complice ou la victime de l’ova qui le dépouille.

D. Charnay.

(La fin à la prochaine livraison.)