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cartes anglaises, déjà remarquée il y a soixante ans par Salt, qui lui donna le nom de son protecteur lord Valentia. En 1859, M. de Russel, chargé de négocier un traité avec le chef du Tigré, Négousié, fut frappé de l’importance de Dessi, véritable clef de toute cette mer, susceptible d’être admirablement fortifiée et stratégiquement bien supérieure à l’îlot plat et aride de Massaoua. Dessi, en effet, a de bonnes eaux, des pâtures capables de recevoir cinq à six cents têtes de bétail, et trois rades bien abritées, susceptibles, moyennant quelques travaux, de devenir des ports supérieurs à Perim. Négousié mit un empressement sincère à offrir à la France Dessi et Adulis (novembre 1859). La Porte réclama timidement, en vertu de je ne sais quelles prétentions surannées sur tout le littoral jusqu’au Bab-el-Mandeb : mais ces prétentions (infiniment moins bien établies que celles qu’elle avait sur Perim et dont l’Angleterre a tenu si peu de compte), se firent très-modestes en présence du pavillon français, et plus tard la présence de la Somme dans les mêmes parages les réduisit momentanément au silence. Pour en avoir le cœur net, M. Gilbert, vice-consul de France à Massaoua, se rendit à Bouri, vit les chefs des Hazorta (à qui appartient Dessi), et leur demanda s’il était vrai qu’ils fussent vassaux de la Porte : ils soutinrent énergiquement qu’ils n’avaient jamais eu pour suzeraine que la couronne d’Abyssinie. Depuis, l’attention s’est portée sur Obok : Dessi et Adulis ont été momentanément oubliées, ainsi que la petite rade d’Edd, à mi-route entre Massaoua et Perim.

Île Dessi, vue de Ghedem. — Dessin de Eug. Cicéri d’après un croquis de M. G. Lejean.

Edd avait été, il y a une vingtaine d’années, acheté à un prince indigène par une compagnie française. Un frère ou cousin du vendeur, absent lors de la vente et furieux de n’avoir pas été consulté, souleva la populace contre le prince et le fit mettre en pièces. Il ne reste pas moins à consulter si le vendeur avait qualité pour traiter avec nous, ce qui est plus que probable, et si la maison française qui a succédé aux droits de la Compagnie nanto-bordelaise (qui a fait l’acquisition et exécuté un premier versement) n’est pas légalement fondée à réclamer le bénéfice du contrat. Il n’y a guère a s’occuper de la question de suzeraineté, du moins en ce qui regarde la Porte, qui n’a jamais occupé ce point. Quant aux naïbs, leurs droits sont des plus contestables et ne s’appuient que sur un acte de brigandage commis vers 1800. À cette date, le naïb d’Arkiko, vexé de voir que les caravanes du centre de l’Abyssinie se dirigeaient sur Edd à travers le pays des Danakils, fit inopinément une razzia sur cette bourgade inoffensive, la saccagea ; et pour prévenir une destruction totale, les chefs d’Edd durent jurer sur le Koran de ne plus recevoir de caravanes. Il est vrai qu’à cette époque aucune puissance européenne n’avait de représentant à Massaoua, et que la force aveugle et brutale avait beau jeu contre l’autonomie des petits ; mais est-il nécessaire qu’un pareil état de choses se perpétue sous nos yeux ?

Ce n’est pas ici le lieu de faire de la politique ; mais il ne me sera pas défendu, en terminant cette étude, d’exprimer l’espoir que la France n’abandonnera pas des prétentions sérieuses, qu’elle seule peut rendre utiles à tous les intérêts destinés à se faire jour dans ces contrées. Un personnage très-compétent me disait il y a peu de jours, précisément à cette occasion :

« Ce qui constitue un véritable droit d’occupation, ce n’est pas telle apparition éphémère, inintelligente et stérile, mais un ensemble de services rendus, soit au pays occupé, soit aux intérêts généraux du commerce et de la civilisation. »

Je ne veux pas commenter ces paroles : elles me mèneraient trop loin.

G. Lejean.