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Un maître des cérémonies, le bach-amba-el-bey, crie que l’audience est ouverte.

Entre qui veut pour demander justice. Arrivez, pauvres plaideurs ; vous serez bien vite expédiés. Demandeur et défenseur, plaignant ou inculpé, vous parlerez tour à tour, peu de temps, car les affaires sont nombreuses, et immédiatement l’auguste magistrat décidera quel est celui de vous qui a tort ou raison.

Or, le plaideur qui au fond a en réalité le bon droit de son côté, peut être intimidé, bègue, maladroit, ou, ce qui est pis encore, il est peut-être (quoiqu’il ait mille fois raison) désagréable et repoussant de physionomie, brutal, insolent, tandis que son adversaire sera respectueux, adroit, bon logicien, maître de lui-même.

Le juge, de son côté, tout souverain qu’il soit, peut bien aussi être trop prompt à s’impressionner, peu clairvoyant, avoir la vue de l’esprit très-courte, un faux jugement, ou seulement être mal portant le jour de l’audience, ou indisposé par suite de difficultés politiques ou de querelles de ménage.

Notez qu’il ne s’agit de rien moins pour qui perd sa cause en quelques minutes que de ruine, de bastonnade, de galères, de mutilation, de strangulation, de pendaison ou de décapitation.

Et il y a cependant des Européens qui ont le courage de s’extasier devant cette justice patriarcale ! On cite les jugements de Louis IX, qui était un saint : on oublie de rappeler ceux de Louis XI, qui était un homme partial et cruel.

Café, à la Marsa. — Dessin de A. de Bar d’après une aquarelle de M. Amable Crapelet.

On ne manque pas d’anecdotes amusantes qui tendent à montrer que certains beys ont eu la sagesse de Sancho Pança dans son île de Barataria.

Un jour, un Maure traduit un citoyen de bonne réputation devant le bey (c’était Hamoudah-pacha). Il expose qu’il a perdu sa bourse, que cet individu l’a trouvée et la lui a rendue, mais qu’elle ne contenait plus que vingt sequins mahboubs (pièces d’or), tandis qu’au moment où elle était tombée à terre elle en contenait cent ; donc le prévenu a volé quatre-vingts sequins. Le bey paraît perplexe : il réfléchit. Enfin un éclair illumine sa glorieuse figure. Il demande la bourse, il fait apporter cent sequins ; il essaye de les glisser dans la bourse : elle n’en peut pas contenir même cinquante. Il engage le plaignant à essayer à son tour, et celui-ci n’ayant pas mieux réussi est convaincu par le bey d’avoir porté devant lui une accusation injuste. Quel Salomon !

Mais on cite aussi des exemples un peu différents. Une vache a été trouvée : deux Arabes s’en disputent la possession. Quel est celui qui l’ayant rencontrée a mis le premier la main sur elle ? Grave débat !

Cette fois le bey ne réfléchit pas longtemps. Il s’ad-