Page:Le Tour du monde - 11.djvu/221

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

délit, dans l’espoir d’effacer par là jusqu’au souvenir de leur crime.

Pour regagner Sarayacu, nous prîmes le milieu de l’Ucayali. La rivière était en crue, et le courant entraîna si bien notre embarcation, que les rameurs, jugeant inutile de fatiguer leurs bras, laissèrent au pilote le soin de nous conduire. Je profitai d’un moment où le P. Antonio disait son chapelet, pour consigner dans mon livre de notes quelques détails sur la tribu des Cachibos, que j’avais omis lors de mon séjour à Santa Rita, en compagnie des membres de l’expédition franco-péruvienne. Ces détails, s’ils ne sont pas ici à leur place, auront du moins le mérite de l’à-propos.

Issus de la grande nation Pano, dont ils parlent encore l’idiome, les Cachibos, après avoir longtemps occupé les deux rives du Pachitea, les ont abandonnées depuis un siècle environ, pour s’établir dans l’intérieur des quebradas d’Inquira et de Carapacho où coulent deux rivières, affluents de gauche du Pachitea. La guerre d’extermination que leur déclarèrent à cette époque toutes les tribus de la plaine du Sacrement, motiva chez ces indigènes alors nombreux, aujourd’hui réduits à quelque trois cents hommes, l’abandon de leur ancien territoire. Cette guerre dure encore à l’heure où nous écrivons, les fils ayant religieusement épousé la querelle des pères et la haine générale contre les Cachibos s’étant accrue avec le temps au lieu de s’affaiblir.

Châtiment d’un anthropophage.

Pourchassés d’un côté par les Conibos, les Sipibos et les Schetibos de l’Ucayali qui remontent et descendent librement aujourd’hui les eaux du Pachitea dont le parcours leur fut si longtemps interdit, d’un autre côté repoussés à coup de fusil par les descendants des néophytes des anciennes Missions du Mayro et du Pozuzo les malheureux Cachibos pris ainsi entre deux feux, n’abandonnèrent guère le couvert des forêts où ils se virent réduits à la condition des bêtes.

Cet état d’abjection ne fut pas toujours leur partage. Au dix-septième siècle, nous les voyons alliés aux Schetibos de l’Ucayali et sous le triple nom de Cacibos, de Carapachos et de Callisecas[1] régner en maîtres sur toute l’étendue de la rivière Pachitea, étendre leurs explorations jusqu’à l’Ucayali et occuper le premier rang parmi les tribus de la plaine du Sacrement où leur bravoure et leur cruauté étaient proverbiales. — Comment en un plomb vil l’or pur s’est-il changé, — par quelle succes-

  1. La manie des premiers explorateurs de ces contrées, religieux ou laïques, de donner aux Indiens d’une même nation le nom des lieux où ils les rencontraient, cette manie a jeté une confusion déplorable dans l’ethnographie américaine et induit mainte fois en erreur les savants d’Europe. Par suite de ce malheureux système, plus de la moitié des noms de tribus indigènes qui figurent sur la carte à grands points de Brué dressée par Dufour (édition de 1856),