Page:Le Tour du monde - 11.djvu/223

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qu’il daignât m’inculquer les premières notions de l’art de la statuaire que j’ignorais complétement. Une lueur subite éclaira mon esprit. Je me rappelai les boudins de plâtre que les mouleurs statuaires de Cuzco adaptent au moyen de chevilles aux parties absentes de leurs statues et dans lesquels ils taillent ensuite les contours du membre amputé. Ce procédé que j’employai et l’aide d’un mauvais rasoir, seul outil que je possédasse, me permirent de mener à fin ma besogne. Dire que les mains, les nez, les oreilles que je procréai, rappelaient par l’élévation du style et la pureté des contours, les chefs-d’œuvre de la statuaire grecque, serait une jactance indigne de moi. J’aime mieux avouer que ces produits de mon rasoir étaient d’une naïveté touchante, et d’une roideur hiératique qui n’avaient rien à démêler avec les questions d’art, et témoignaient seulement d’une bonne volonté poussée jusqu’à l’héroïsme.

Après une semaine d’un labeur assidu, mes saints étaient établis dans leur intégrité primitive, et parfaitement secs, grâce à la haute température de la localité. Il ne restait plus qu’à les peindre. Mais il fallait pour cela des couleurs à l’huile, et je n’avais à ma disposition que des couleur à l’eau. Le révérend prieur à qui je fis part de mon embarras, retrouva heureusement au fond d’un tiroir quelques pincées de vermillon et de céruse qui dataient du commencement de ce siècle ; des os d’animaux à demi grillés sur les charbons, me procurèrent du bitume ; je trouvai des ocres dans les ravins, et ma lampe me donna du noir de fumée.

Transport du gypse, à Cosiabatay.

Pour préparer ces diverses couleurs, un plastron de tortue et un fer à repasser emprunté à Rose la blanchisseuse, servirent à mon rapin Julio de pierre et de molette. Nous suppléâmes aux diverses huiles qui nous manquaient par de la graisse de tortue à laquelle nous mêlâmes comme siccatif, un peu d’encens en poudre.

Les choses ainsi réglées, marchèrent à souhait et je pus terminer mon œuvre de sculpture polychrome. À quinze jours de là, tous mes saints, restaurés, enluminés et vernis au blanc d’œuf, étaient alignés dans le réfectoire où les néophytes venaient les admirer avec des exclamations élogieuses dont ma modestie eut fort à souffrir.

Ce travail achevé, je rassemblai mes plantes et mes paperasses, et me mis à tout préparer pour un prompt départ. Comme j’étais en train de clouer une caisse, le révérend prieur entra chez moi, l’air souriant et s’assit sur mon vieux fauteuil. Tout en me regardant jouer du marteau, il m’adressa force gracieusetés et porta jusqu’aux nues le ravaudage artistique que j’avais entrepris et terminé tant bien que mal. Je le laissai dire sans l’interrompre. Quand sa verve louangeuse fut épuisée :