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s’élevant vers le ciel auraient été son monument funèbre. Mais cette pensée grandiose ne fut exécutée qu’à demi. Comme les porteurs s’approchaient de la partie supérieure du cône qui exhale constamment des vapeurs brûlantes, une violente détonation souterraine se fit entendre et, saisis de frayeur, ils déposèrent leur pesant fardeau sur une saillie de rochers. C’est là que reposent aujourd’hui les restes mortels du guerrier maori, mais la montagne est devenue tabou au plus haut degré et personne ne peut la gravir.

Le Te Heuheu survivant a célébré la mémoire du défunt par un chant de deuil qui n’est pas dépourvu de sentiment poétique, et il a élevé à son frère dans le pah de Pukawa un mausolée (Wahitabou) qui doit avoir été un chef-d’œuvre d’architecture maorie. Nous n’en avons pu voir que les ruines sous des bouquets d’arbres pittoresques, quelques poteaux richement sculptés, dont les dessins remarquables paraissent célébrer la force invincible du héros et la fécondité de ses nombreuses femmes.

L’intérieur du pah n’est habité que par les proches parents de Te Heuheu ; au dehors, sont disséminées une foule de huttes, dans lesquelles demeurent les sujets et les serviteurs du chef.

Celui-ci me rendit visite dans une élégante toilette noire. Durant mon séjour à Pukawa, je m’entretins encore plusieurs heures avec cet homme remarquable et j’écoutai ses réflexions et ses récits. C’est de sa bouche que j’ai appris les légendes que la tradition des Maoris conservées sur le lac Taupo, et que je donnerai plus bas. Quant à ses opinions politiques, il se disait ami dévoué du parti national. Autant il célébrait, dans ses louanges enthousiastes, le précédent gouverneur, sir Georges Grey, autant il jugeait avec sévérité le gouvernement actuel et affirmait qu’il ne mettrait plus les pieds dans Auckland, la ville Pakeha, où à sa dernière visite, on l’avait traité comme un chien. À mon départ, il me fit dire par le missionnaire qu’il serait charmé de me recevoir de nouveau, mais il avertissait l’Anglais que le gouverneur avait mis près de moi comme interprète, que, lors d’une seconde visite dans son pah, il ne souffrirait sa présence que par égard pour moi qui suis un étranger, et ne comprends pas la langue maorie.

Tel était Te Heuheu, l’un des représentants, maintenant en bien petit nombre, des temps du paganisme, de ces chefs dont la tête est encore entourée d’une auréole d’héroïsme romantique, et qui rappellent, comme une tradition vague, le souvenir d’une population disparaissant rapidement au souffle de la civilisation européenne.

Il y aurait encore à esquisser plus d’une figure intéressante de la haute aristocratie de ce district ; on y retrouverait des types rappelant celui de ce farouche Heke qui dirigea l’insurrection de 1845, et celui de sa douce et gracieuse compagne, fille du terrible Honghi ; mais il est temps d’arriver au lac Taupo.

Ce lac est une véritable mer intérieure longue de vingt-cinq milles anglais du sud-ouest au nord-est, large de vingt milles, et d’une profondeur que jusqu’ici on n’a pas pu sonder. Il est à douze cent cinquante pieds au-dessus du niveau de la mer, et entouré dans toute son étendue de formations volcaniques où dominent les laves trachytiques, riches en quartz, ainsi que des masses gigantesques de pierres ponces. Ces formations ignées composent le plateau, élevé de deux mille à deux mille deux cents pieds, au milieu duquel se trouve le lac, qui lui-même a été visiblement formé par une violente rupture de ce haut plateau, à la suite de l’écroulement de cavernes souterraines.

Toute la rive occidentale du lac est formée de rochers à pic qui atteignent en quelques endroits une élévation de plus de mille pieds. Les longues cimes boisées des monts Rangitoto et Tuhua, hautes de trois mille pieds, se perdent à l’horizon dans la direction du nord-ouest ; il n’est qu’un seul point que sa forme particulière permette de distinguer, le mont Titiraupenga, dont le sommet en pyramide ressemble aux ruines d’un château démantelé. La rive orientale est presque partout unie, et forme une large plage le long de laquelle une route a été tracée. À une certaine distance, des rochers de pierre ponce brillant d’un vif éclat, bornent cette plage ; ils sont recouverts de gazon et de buissons, et s’élèvent jusqu’au pied d’une haute montagne boisée éloignée de dix ou quinze milles de la rive orientale, et qui, sous le nom de Kaimanawa, paraît être la prolongation de la chaîne Ruahine, dans la province de Wellington. Elle s’abaisse vers le nord-est et prend le nom de Te Whaiti ; elle s’étend depuis le détroit de Cook jusqu’au cap oriental, et l’on peut dire que c’est une terre encore complétement inconnue, et que, si quelque part on doit découvrir dans l’île du Nord des mines d’or, d’argent ou d’autres métaux, c’est dans ces chaînes de montagnes inexplorées. Derrière les forêts du premier plan s’élèvent des pyramides de rochers nus dont le caractère alpestre présente un contraste pittoresque avec les contours coniques et réguliers des formations volcaniques de la rive méridionale du lac. Leur vue me surprit extrêmement, parce que, sur aucune carte de la Nouvelle-Zélande, je n’avais vu figurer, entre le lac Taupo et la côte orientale, une montagne aussi considérable. C’est là qu’ont leur source les nombreuses et parfois importantes rivières qui se jettent dans le lac, du côté de l’est.

Les rives méridionales du lac s’étendent très-loin ; elles sont bordées par une rangée de cônes volcaniques derrière lesquels se trouvent le Tongariro et le Ruapahou. Ces deux géants ne sont cependant pas visibles du rivage du midi, mais partout, de la rive de l’est et de du nord, on les voit s’élever au-dessus de ces petites montagnes coniques que les indigènes désignent dans leur pittoresque langage comme leurs femmes et leurs enfants.

La base du Tongariro est à environ douze milles anglais du lac ; entre ce volcan et les montagnes de Pihanga et de Kakaramea, se trouve une large vallée qui renferme le beau lac Rotoaia, long d’environ trois milles.