Page:Le Tour du monde - 11.djvu/299

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ment, fait de feuilles de kiekie ; les lambeaux frappent les racines qui se transforment en jolis acacias à fleurs jaunes, assez abondants dans les environs du lac Taupo. Le chef monte ensuite sur le Tongariro couvert de neige, mais il y fait si froid que le maître et l’esclave sont en danger de mourir. Ngatiroirangi appelle alors ses sœurs, qui sont restées sur le Whakari, afin qu’elles lui envoient du feu, du feu sacré inextinguible, qu’elles avaient apporté d’Hawaïki ; elles lui en envoient par l’entremise de deux taniwhas (esprits souterrains de la montagne et des eaux). Le feu arrive juste à temps pour sauver le chef, mais quand il veut engager son esclave à se réchauffer aussi, le pauvre Ngauruhoe est déjà mort. Jusqu’aujourd’hui, l’issue souterraine que le feu s’est frayée dans la montagne, c’est-à-dire, le plus puissant cratère du Tongariro, a porté le nom de l’esclave Ngauruhoe, mais comme c’était le feu sacré d’Hawaïki, il continue toujours à brûler, et il brûle sur tout l’espace compris entre le Whakari et le Tongariro, aux endroits où il a jailli quand les Taniwhas sont sortis de terre ; de là aussi l’origine des sources chaudes innombrables de cette contrée.

La plupart se trouvent sur la rive méridionale du lac, auprès du village maori de Tokanu, non loin de la rivière du même nom. Elles s’étendent depuis la petite montagne conique Manganamu jusqu’à l’embouchure de la rivière Tokanu, et embrassent un espace de deux milles anglais carrés. L’épaisse colonne de vapeurs que l’on voit des bords du lac appartient à la grande source de Pirori (tourbillon). D’un trou sur la rive gauche du Tokanu, s’élève une colonne d’eau bouillante de deux pieds de diamètre, toujours soumise à l’action de la vapeur, et tournoyant dans les airs jusqu’à une hauteur de six à dix pieds. Les indigènes me dirent que l’eau est souvent lancée de cette ouverture, avec une forte détonation, en colonne de quarante pieds. À quelques pas de là se trouve un bassin de huit pieds de large et de six pieds de profondeur, dans lequel l’eau bout constamment.

Tokanu est célèbre aussi par un magnifique wharepuni, reste du bon vieux temps des Maoris. Nous donnons (Voy. la gravure de la page 302) le dessin de quelques sculptures qui se trouvent sur l’encadrement de cette espèce de portique. Une figure était tombée du toit, et gisait sur le sol, couverte de boue et de poussière ; je voulus l’obtenir du chef de la localité, mais celui-ci me fit comprendre que cette statuette représentait son grand-père, et qu’il lui était impossible de la vendre à un Pakeha ; selon toute apparence, la figure est encore sur le sol.

À mon retour, en passant à Otawhao, parmi les ruines d’un ancien pah, je trouvai une de ces figures grotesques, sculptées dans le bois, qui ornaient jadis les châteaux des Maoris. Elle était haute de cinq pieds, et encore bien conservée ; je n’hésitai pas à me l’approprier pour la rapporter en Europe comme un échantillon de la sculpture indigène. Malgré mes précautions, le bruit courut parmi les naturels que j’avais mis avec mes bagages un de leurs ancêtres, et l’on voulait que je rendisse la statue qui était destinée à orner la résidence du roi maori. Elle est aujourd’hui en bon état dans le musée Novara à Vienne, où Potatau II peut la faire reprendre.

Les Maoris prodiguaient aussi les sculptures sur les tombeaux. On en rencontre un assez grand nombre aux environs du lac Rotorua, dont les eaux thermales attirent beaucoup de visiteurs. Ces tombeaux, élevés aux chefs que les sources n’avaient pu guérir, et qui succombaient à leurs souffrances, représentent des figures de bois sculpté de quatre pieds de haut environ, enveloppées de draperies, et dont la particularité la plus remarquable est l’imitation fidèle des tatouages du défunt. Les Maoris peuvent ainsi reconnaître celui à qui le tombeau est consacré ; certaines lignes désignent la tribu, d’autres la famille, et d’autres enfin la personne elle-même. La représentation exacte des tatouages de la face équivaut pour le Maori à un portrait, et il n’a pas besoin d’inscriptions pour savoir le nom du chef auquel le monument est élevé.

Le climat des environs du lac Taupo n’est pas aussi doux que celui des côtes. L’hiver y est particulièrement rigoureux et froid ; les vents violents qui s’y font ressentir proviennent en grande partie des hautes montagnes voisines. Nous en eûmes des preuves assez sensibles ; la température qui, dans la première moitié d’avril, avait été extraordinairement douce et agréable, changea complétement pendant notre séjour à Pukawa ; un automne rude suivit la fin de l’été, qui avait été magnifique. Le 15 avril, correspondant au 15 novembre de notre hémisphère, une tempête du nord-ouest se déchaîna subitement, pendant une courte traversée que nous faisions près de Te Rapa, et nous mit presque en danger de mort, tant notre canot fut secoué par les vagues. Les jours suivants, il y eut une pluie violente, accompagnée de grêle ; la neige couvrit les montagnes ; le lac ressemblait à une mer furieuse ; les vagues, blanches d’écume, tournoyaient sur le rivage et faisaient entendre un grondement retentissant, comme sur les côtes de la mer. Les vents se heurtaient sur la surface du lac, et formaient des tourbillons qui en soulevaient l’eau à de très-grandes hauteurs. Celui que la tempête surprend alors dans un léger canot, est infailliblement perdu. Le lac est beaucoup plus dangereux pour les embarcations des indigènes imprudents que la mer elle-même, car l’eau douce est bien plus rapidement agitée que la pesante eau de mer, et forme très-vite des vagues amoncelées. En outre, la rive ne présente qu’un très-petit nombre de points de débarquement ; aussi les indigènes sont-ils extrêmement prévoyants, et n’entreprennent-ils de longues traversées que quand on peut compter avec certitude sur le beau temps. Malgré cela, il arrive fréquemment des malheurs, et chaque riverain du lac perfide peut citer des cas où il n’a échappé qu’avec une peine extrême au mauvais esprit (taniwha), affamé de victimes, Horomatangi, qui, d’après la tradition, rôde dans ces parages et produit la tempête.

Horomatangi doit être un vieillard que les indigènes