Page:Le Tour du monde - 11.djvu/302

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rives flottent de blancs nuages de vapeur produits par les sources jaillissantes qui coulent vers le fleuve. Là monte une fontaine de vapeur qui redescend en pluie ; ici une seconde s’élève et bientôt s’interrompt ; deux autres commencent à jaillir au même moment : ainsi le jeu varie et se renouvelle comme si l’art avait tenté d’établir de magnifiques jets d’eaux. Lors même que toutes les sources jaillissent en même temps, il reste encore assez d’eau pour les cascades. Je me mis à compter toutes les places où l’on voyait, soit un bassin d’eau bouillante, soit un nuage de vapeur provenant de la même cause ; j’en comptai soixante-seize, sans cependant pouvoir embrasser du regard tout l’ensemble, et, en outre, il s’y trouve beaucoup de sources intermittentes à longs intervalles, analogues au Geyser de l’Islande.

Le dessin ne peut donner qu’une faible idée de la grandeur et de l’originalité de ce spectacle ; une description serait plus insuffisante encore.

Le bassin des sources s’étend le long du Waikato, sur environ un mille anglais, depuis le cône à pic de Whakapapataringa, au sud, jusqu’à la montagne boisée de Tutukau, au nord. La plus grande partie des sources se trouve sur la rive droite, mais elles sont peu accessibles, car on ne peut traverser le courant rapide auprès des sources mêmes ; il faudrait tenter le passage en amont ou en aval, et alors ramper sur des rives escarpées couvertes d’épais buissons, où l’on serait exposé atout moment à glisser sur un sol complétement détrempé, et à tomber dans de la vase brûlante. Je dus me borner à un examen plus minutieux des sources qui se trouvent sur la rive gauche, tout à fait au-dessous du village.

Une grande plate-forme, large de cent vingt pas et d’une longueur égale, composée de tuf siliceux blanchâtre, et qui s’étend du pied de la montagne Tutukau jusqu’au Waikato, embrasse quelques-unes des sources les plus remarquables du bassin, notamment celle d’Homaiterangi. Cette source est située tout près de la rive, sur un monticule en forme de cloche. De grandes précautions sont indispensables quand, pour la première fois, sans guide expérimenté, on s’approche de ces puias. Mes compagnons de voyage, Haast et Hay, voulurent dès le grand matin se donner le plaisir d’un bain dans le Waikato, et ils avaient déjà déposé leurs habits auprès d’un bassin d’eau thermale, quand tout à coup retentirent à côté d’eux de fortes détonations, et ils virent que l’eau s’élevait en bouillonnant dans le bassin. Ils eurent à peine le temps d’éviter une douche d’eau bouillante, car une colonne liquide mêlée de vapeur s’élevait en sifflant et en mugissant à une hauteur de vingt pieds. Encore tout émus de l’aventure, mes compagnons vinrent en grande hâte me la raconter ; mais quand j’arrivai sur les lieux, le Geyser sournois était déjà rentré dans le repos, et je ne vis plus dans son bassin qu’une eau limpide comme le cristal, très-faiblement agitée. Sa température était de 94 degrés centigrades, et elle avait un léger goût de bouillon. Le premier jaillissement dont je fus témoin n’eut lieu que vers midi. Un peu auparavant, le bassin était plein jusqu’au bord ; tout à coup des masses d’eau et de vapeur s’élancèrent à une hauteur de vingt à trente pieds, sous un cercle de 70°. Cela dura quelques minutes, puis la force de projection diminua, l’eau ne s’éleva plus qu’à un ou deux pieds, et bientôt le jet d’eau disparut au milieu d’un bruit sourd. Quand je revins auprès du bassin, il était vide, et mon regard put plonger à huit pieds de profondeur dans une ouverture en forme d’entonnoir, de laquelle des vapeurs s’échappaient avec des sifflements. Puis l’eau recommença à monter, et après dix minutes, le bassin se trouva de nouveau rempli ; les éruptions paraissent avoir lieu à peu près de deux en deux heures. Le fond de ce puia, comme celui des sources environnantes, est du tuf siliceux. Le dépôt des eaux, quand il est récent, est d’un blanc gélatineux ; il prend ensuite de la consistance et finit par former une roche solide de structure et de couleur très-variées. Tantôt c’est une masse grenue d’un brun clair, tantôt une calcédoine dure comme l’acier, ou bien un silex gris.

Un deuxième puia, éloigné d’une trentaine de pas, porte le nom d’Orakeikorako. C’est un bassin ovale, de huit pieds de long et de six pieds de large, qui était rempli à moitié d’une eau limpide et bouillonnant légèrement.

Mais la source la plus remarquable de toutes est celle qui se trouve au pied de la colline ; c’est un jet bouillant de deux ou trois pieds de haut, dont l’eau est également limpide, et assez imprégnée d’une odeur de soufre. Le chef qui m’accompagnait dans mon excursion, me raconta qu’après le tremblement de Wellington en 1848, cette source s’était transformée pendant deux ans en un Geyser qui jaillissait à cent pieds de haut (chiffre sans doute un peu exagéré), et qui rejetait avec une force terrible les pierres que l’on y lançait. Trois bassins plus petits qui, auparavant, étaient sans doute des sources indépendantes, sont aujourd’hui remplis par l’écoulement du grand jet d’eau, et forment d’excellentes piscines naturelles. L’eau passe d’un réservoir dans un autre, en sorte que l’on a le choix entre trois températures. Le dernier, profond de trois à cinq pieds, a les dimensions d’une grande baignoire. Son fond est composé de tuf siliceux, blanc comme la neige, qui paraît avoir la pureté du marbre, et son eau limpide était si attrayante, que je ne pus me refuser au plaisir d’y prendre un bain.

On attribue à ces sources de grandes vertus curatives. Nous rencontrâmes à Orakeikorako, un Irlandais qui nous dit qu’on l’avait apporté là paralysé, et qu’un court usage des bains l’avait remis sur pied.

Des deux côtés du fleuve, les buissons des rives recouvrent des amas de vase bouillante dont on ne doit s’approcher qu’avec une extrême précaution, car le sol amolli, et que ne recouvre aucun mélange de tuf, cède sous le moindre poids. Le plus grand de ces bassins limoneux a une forme elliptique de quatorze pieds de long, huit de large, et autant de profondeur. Là bouillonnait une vase d’oxyde de fer d’un rouge vif, et des bulles visqueuses de limon éclataient en répandant une fétide odeur de soufre ; c’était un spectacle vraiment infernal.