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de ses apôtres ont échoué. Le seul personnage de la tribu est le médecin ou paye, dont les fonctions ne restent jamais vacantes, car elles ne sont pas sans profit.

Désireux de connaître et de pouvoir dessiner à mon aise, au milieu de tout le luxe sauvage de son accoutrement, celui qui était chargé de ce rôle, j’obtins qu’il se rendrait, revêtu des attributs de sa haute dignité, dans ma maison, en compagnie de quelques autres Indiens. La promesse d’une certaine quantité du précieux breuvage et la perspective d’une soirée d’ivresse avaient eu promptement raison de ses hésitations.

Au jour dit, le paye vint me trouver avec un jeune garçon et deux femmes. C’était un vieillard, un peu courbé par les années, mais dont la physionomie n’avait rien de repoussant, malgré la déformation des traits, toujours précoce et si remarquable chez les indigènes. Ses cheveux, encore noirs, étaient retenus sons une résille bordée de verroterie. Une aigrette surmontait la résille, et des plumes de nandù flottaient derrière sa tête ; un collier de coquillages bivalves entourait son cou, auquel pendait, comme trophée, un sifflet taillé dans l’os du bras d’un ennemi. Entièrement nu sous sa chemisette sans col ni manches, faite de deux peaux de jaguars, il portait autour des malléoles des chapelets d’ongles de capivaras. Enfin, il tenait dans la main droite une courge allongée, et dans la gauche, un long tube de bois dur que j’eus quelque peine à reconnaître pour une pipe (voy. page 339).

La scène s’ouvrit. Le sorcier donna la pipe à son compagnon chargé de l’allumer, et, l’ayant reprise, il aspira plusieurs bouffées qu’il lança bruyamment dans la calebasse par l’orifice dont elle était percée ; puis, sans l’éloigner de ses lèvres, il se mit à crier tantôt lentement, tantôt vite, en faisant entendre alternativement les syllabes ta, ta, et to, to, to, avec des redoublements et des éclats de voix extraordinaires, inexprimables. En même temps, il se livrait à de violentes contorsions, à droite, à gauche, et exécutait des sauts en cadence, tantôt sur un seul pied, tantôt sur les deux réunis.

DÉTAILS D’ARCHITECTURE DES ÉTABLISSEMENTS DES JÉSUITES DU PARAGUAY. — Dessin de Thérond.
Porte latérale de l’église de San-Borja. — Colonne de bois de la galerie de l’église de San-Borja. — Fontaine dans le collège de San-Lorenzo.

Ce manége ne dura pas longtemps, et sous prétexte de fatigue, il ne tarda pas à s’arrêter. Il fallut une rasade pour le remettre debout, et son chant monotone recommença aussitôt.

Enfin, mes dessins achevés, je levai la séance, à la satisfaction générale de mes hôtes, et je les congédiai, après avoir acheté au paye sa pipe et son sifflet.

Faite de bois dur et pesant, cette pipe est couverte de grecques régulières, gravées superficiellement avec une assez grande perfection. Longue de cinquante centimètres, elle est ornée de clous dorés, et percée d’un conduit évasé par un bout, et terminé par un bec à l’autre. On retrouve cet instrument chez d’autres nations voisines, chez les Tobas et les Matacos des bords du Pilcomayo. Il donne une idée de ces énormes cigares