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templer la rade et la baie de Penzance, Mount’s bay, ainsi nommée parce que le mont Saint-Michel s’élève au milieu du golfe. Le vénérable pic, couronné de son monastère gothique, entouré de murs crénelés, dresse fièrement sa tête au-dessus des ondes. Le mont est découpé en pyramide ; le monastère, veuf aujourd’hui de ses pieux habitants, orne la cime ; à la base s’étale coquettement un village de pêcheurs aux blanches maisonnettes.

Penzance, au milieu de laquelle nous nous promenions en flâneurs une heure après notre arrivée, est une ville propre, bien bâtie, bien tracée. Les quais le long de la mer forment une ravissante promenade, et la ville est entourée de jolis jardins. Cette partie de l’Angleterre jouit au reste d’un climat très-doux, très-tempéré, dû à l’influence du courant sous-marin d’eau chaude, le Gulf-stream, qui, parti de la mer du Mexique, vient caresser les côtes de la Grande-Bretagne et y réchauffe l’atmosphère ambiante.

Nous n’étions pas venus à Penzance dans le seul but de nous bercer dans un doux far-niente, ou du moins de faire des promenades le long des quais, de contempler la mer, et de nous enivrer d’air salin.

Poursuivant l’étude que nous avions déjà commencée dans le Devonshire et qui nous amenait jusqu’à la pointe du Cornouailles, nous voulions surtout visiter les mines métalliques de cet intéressant district. Ce fut donc à cette fin que, m’arrachant au beau spectacle que nous avions sous les yeux, j’allai, mes lettres de recommandation à la main, me présenter chez M. Higgs, purser (régisseur) des premières mines de cuivre et d’étain du pays. Sur le vu de la lettre de M. R. Hunt, M. Higgs nous ouvrit sa porte à deux battants à mes compagnons et à moi, et, trop affairé pour nous diriger lui-même, nous confia à son fils. Celui-ci connaissait la France et y avait même exploité, près de Nantes, une mine d’étain, moins riche, il est vrai, que celles du Cornouailles. Il avait conservé de bons souvenirs de notre pays, aimait les Français, parlait volontiers leur langue. Il n’en fallait pas autant pour qu’il se décidât, avec cette obligeance que mettent les Anglais à être agréables aux personnes qui leur ont été recommandées, à nous piloter partout dans Penzance. Ce fut en sa compagnie que nous visitâmes le musée géologique ; ce fut lui encore qui nous donna pour guide dans nos excursions un capitaine de mines éprouvé. Ce dernier avait nom, je crois, maître Gilles, et comme son homonyme de comédie était un passé maître.

Nous partîmes pour Saint-Yves en compagnie de ce vieux loup de mines. Le temps était beau, les chevaux fringants. La route, d’abord tracée le long de la mer, entre Penzance et Marazion, ne tarde pas de pénétrer dans les terres. À mi-chemin, nous rencontrâmes une usine où l’on traitait le minerai d’étain, et nous y entrâmes. Les ouvriers étaient occupés à griller le minerai, fondre et affiner le métal. Je suivis avec intérêt leurs opérations. Le grillage (roasting) consiste à séparer du minerai par le feu toutes les matières volatiles qu’il peut renfermer : l’eau, le soufre, l’arsenic. C’est dans un four à réverbère que se fait l’opération. Sur une aire plane, que l’on appelle la sole, est étendu le minerai en poudre. Le foyer est séparé de la sole par un petit mur en briques, arrêté à mi-hauteur ; à l’extrémité opposée est la cheminée. Par une porte ouverte, l’ouvrier, armé d’une longue barre de fer terminée en pelle ou en râteau, agite sans cesse la masse métallique. L’eau, le soufre, reconnaissable à son odeur piquante, l’arsenic, à une odeur d’ail caractéristique, se dégagent par la cheminée. La flamme, qui arrive du foyer est rabattue, réverbérée sur la sole par la voûte du four, lèche en passant le minerai, et fait les frais de l’opération.

Après le grillage ou rôtissage vient la fusion, smelting. Le minerai grillé, qui a déjà perdu 6 à 8 pour cent de son poids, est étendu sur la sole d’un second four à réverbère, analogue au four de grillage. Seulement, la sole est, cette fois, de forme un peu concave, munie d’un trou de coulée. Un bassin de réception est disposé au dehors, en contre-bas de la porte de travail. Le minerai grillé est mêlé à du charbon de bois en poudre. On allume le feu et voici le phénomène qui se produit. Sous l’influence de la haute température se dégageant du foyer, les matières sur la sole s’échauffent fortement. Le minerai, qui est un oxyde d’étain (combinaison du gaz oxygène avec l’étain métallique), cède son oxygène au charbon de bois, qui se transforme en acide carbonique et en oxyde de carbone. Ces gaz se dégagent dans la cheminée avec ceux qui viennent du foyer. L’étain, resté seul, fond. On perce le trou de coulée et on reçoit le métal dans le bassin de réception extérieur ; les matières étrangères solides surnagent à l’état de scories ou crasses, slags. On les a du reste en grande partie écumées pendant le cours de l’opération. Pour les rendre plus fusibles on jette quelquefois de la chaux sur la sole. Sans ce fondant énergique, le lit de fusion s’empâterait.

La troisième opération, dite raffinage (refining), consiste à reprendre le métal obtenu et à le refondre de nouveau, mais très-lentement. Il se purifie complétement dans cette liquation, et de cette seconde coulée sort l’étain livrable au commerce. On le moule en pains ou lingots (saumons) à la marque de l’usine. Celle que nous venions de visiter signe ses produits de l’agneau portant l’oriflamme, lamb and flag. C’est une espèce de sceau qui garantit à la fois la provenance et la qualité du métal. À ce titre, la marque de fabrique est doublement respectable et mérite d’être conservée.

Au sortir de la fonderie d’étain, où nous venions d’étudier sur place le travail métallurgique auquel on soumet le minerai pour produire le métal pur, nous nous dirigeâmes vers une mine du voisinage d’où le minerai était directement extrait des filons. Le nom de la mine est Wheal Margery. Tout y était vie et mouvement comme à la mine de Wheal Friendship que nous avions précédemment visitée. Deux mineurs, que nous rencontrâmes sortant des travaux, voulurent bien se laisser