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inventé une machine à vapeur atmosphérique, et avait même essayé de l’introduire en Allemagne, étaient connus en Angleterre. La machine de Savery, qui faisait directement agir la force élastique de la vapeur sur la nappe d’eau à soulever, n’était pas industriellement applicable, non plus que celle de Papin dont le brasier touchait le fond du cylindre, lequel servait ainsi en même temps de chaudière ; mais deux ouvriers du comté de Devon, Newcomen et Cowley (la postérité, toujours un peu oublieuse, n’a volontiers retenu que le nom du premier), revenant sur la machine atmosphérique de Papin, et s’associant Savery qui s’était fait breveter pour les machines à feu, fabriquèrent enfin et firent fonctionner, entre les années 1705 et 1710, la première machine à vapeur réellement pratique. L’essor était donné et la machine de Newcomen remplaça sur toutes les mines du Devon et du Cornouailles, l’ancienne pompe à feu de Savery. Elle se répandit de là sur les houillères anglaises et jusqu’en France. Enfin Watt parut, et en 1765, faisant subir à la machine de Newcomen tous les perfectionnements qui lui manquaient, y introduisant surtout le condenseur, créa cette machine si parfaite, qu’elle est restée à peu près ce qu’il la fit. Ce sont ces belles machines qui, sous le nom de machines de Watt ou à simple effet, fonctionnent encore aujourd’hui sur toutes les mines pour y faire mouvoir les pompes d’épuisement. Les mines métalliques du Cornouailles, les mines de charbon des divers comtés houillers de l’Angleterre, notamment celui de Newcastle, sont celles où l’on rencontre les plus beaux et les plus parfaits modèles ; mais c’est surtout dans le Cornouailles que l’on trouve les meilleurs types, et voilà pourquoi ces machines sont connues aussi sous le nom de machines du Cornouailles.

De la mine de Wheal Margery, nous nous rendîmes à Saint-Yves. La ville est assise sur une langue de terre qui s’avance au milieu des eaux, forme une baie et se termine en un monticule qui protége les maisons. Une jetée, au bout de laquelle est un phare, défend le port. En entrant dans la ville, on passe devant d’anciens puits de mines abandonnés, ensuite devant un vieux clocher crénelé qui a dû être souvent battu de l’aquilon, à en juger par son état de complet délabrement et son aspect piteux. Les rues sont sales, et des celliers des habitations se dégage une odeur de poisson qui vous prend aux narines. Le pilchard ici règne en souverain plus encore qu’à Penzance. Quelques bateaux pêcheurs ou caboteurs se balancent dans le port ; les quais sont sans intérêt, et tout le charme que semblait faire pressentir à distance la vue si agréable de la ville disparaît dès qu’on est entré. Au fond de la baie, en face de Saint-Yves, est le port de Hayle, à l’embouchure d’une petite rivière. Quelques prairies gazonnées s’étendent au delà. Sur le turf, nous apercevons des mâts fichés en terre où flottent des banderoles. On distingue la double croix rouge et blanche de Saint-Georges et de Saint-André, l’Union-Jack, le pavillon national du Royaume-Uni. La foule est compacte, animée ; on s’exerce au tir.

Un puits de mine près Saint-Yves. — Dessin de Durand-Brager.

« Qu’est-ce que cela ?

— Eh ! pardieu, c’est la troupe des volontaires se disposant à repousser par les armes l’invasion des Français.

— L’invasion des Français ?

— Eh ! ma foi, oui ; ces incorrigibles Gaulois qui menacent la vieille Angleterre. »

Ces incorrigibles Gaulois étaient en effet devenus bien menaçants il y a quelques années, en 1858 et 1859, alors qu’il n’était question de rien moins que de faire une descente de France en Angleterre. À cette époque les pacifiques enfants d’Albion, plus habiles à manier les instruments industriels que les armes de guerre, s’émurent, et le pays tout entier s’arma pour la défense nationale. Les volontaires s’exercèrent au tir ; les rivages, non contents de leurs murs de bois, se couvrirent de murs de pierre, de batteries crénelées, et tous les citoyens britanniques, anxieux, incertains, attendirent de pied ferme l’arrivée des Gaulois.

Les Gaulois ne vinrent pas, mais ils s’agitaient beaucoup chez eux. On chantait : Guerre aux tyrans ! dans tous les cafés-concerts de Paris et des provinces ; et dans l’armée MM. les capitaines, heureux de trouver là une cause d’avancement et de se mettre eux-mêmes à l’ordre du jour, rédigeaient des proclamations belliqueuses brandissant leur sabre, et criant : Sus à l’Anglais !