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vaient rien. L’amirauté, à laquelle le pays avait adressé une plainte en règle, menaça l’officier de le casser de son grade, ou du moins de le mettre à la demi-solde, s’il ne parvenait à rétablir les choses dans leur primitif état. Elle voulut bien lui prêter des grues, des cabestans et des palans, tandis que le salaire des ouvriers employés à cette restauration demeurerait à la charge du coupable. Après des efforts surhumains, la pierre fut remontée, remise à la même place ; mais jamais, disent les connaisseurs, elle n’a plus présenté le même balancement, libre, gracieux et cadencé qu’autrefois. Le pauvre lieutenant fut ruiné, et à sa mort il n’avait pas encore payé tous les frais de cette coûteuse opération.

À Lennen, vers la pointe du cap Land’s end, là même où se trouve la première et la dernière maison de l’Angleterre, est une pierre non moins célèbre que la précédente, non plus branlante cette fois, mais couchée par terre. On dit que jadis (et il y a bien longtemps de cela) trois rois, de passage pour leurs affaires dans le pays, allant sans doute à quelque grand congrès européen, se rencontrèrent dans cet endroit, et dînèrent autour de cette table rustique. Avant de se mettre à table, ces rois devisèrent entre eux, comme ceux que Voltaire rassemble à Venise dans Candide. L’un était le roi des mers, l’autre le roi des forêts, le troisième le roi de la terre. Chacun défendait son royaume, et lui donnait la prééminence. Le roi des mers parlait de ses pêches, et il fit servir les plus beaux, les plus frais de ses coquillages et de ses poissons : huîtres vertes, moules rouges, soles, barbues, saumons au beurre d’anchois, bouillabaisse de poissons de roche. Le roi des forêts cita ses chasses, et il fit paraître sur la table les meilleurs de ses gibiers : râble de lièvre aux champignons, hure de sanglier aux truffes, perdrix et cailles aux marrons, biftecks d’ours à la purée de glands.

Le roi de la terre parla le dernier :

« Goûtez à ces fruits, » dit-il à ses rivaux ; et il leur fit offrir par son page des oranges des Hespérides, des figues du mont Hymète, des raisins de Corinthe, des mangues de l’Inde et des let-chis de Chine, le tout arrosé des vins des meilleurs crus. C’était le dessert, chacun se lécha les doigts. On convint d’un commun accord que l’eau, la terre et les forêts avaient du bon, et que le mieux était de jouir de tous leurs produits à la fois par la voie des échanges. Ce qui fut dit fut arrêté, conclu et signé, et c’est peut-être de cette époque que date le premier traité de commerce.


VI

LES MINES DE CUIVRE ET D’ÉTAIN.


Allures des filons. — Production en étain. — Étain de mine et d’alluvion. — Production en cuivre. — Les ticketings. — Personnel d’une mine. — Les adventurers. — L’industrie des mines, fortune du Cornouailles.

Les mines de cuivre et d’étain, dont nous avons parcouru les plus connues, les plus dignes d’intérêt, forment la principale richesse du Cornouailles. Elles font, comme on l’a dit, de cette pointe de granit une véritable corne d’abondance. Exploitées de temps immémorial, elles sont aujourd’hui encore l’objet du travail le plus soutenu, et ne paraissent pas près d’être épuisées. À quatre cents, à six cents mètres, les filons sont toujours productifs. Souvent l’étain et le cuivre se trouvent également mélangés ; tantôt c’est l’un, tantôt l’autre qui domine ; enfin telle mine exploitée dans le principe pour le cuivre, l’est pour l’étain à une plus grande profondeur ou réciproquement.

Les filons, sortes de masses tabulaires, de composition siliceuse, remplissant des fentes antérieurement ouvertes dans le terrain, sont diversement inclinés et de directions à peu près constantes allant de l’est à l’ouest. Ils taillent les schistes (killas), roches feuilletées, ou suivent leur stratification. Ils pénètrent aussi dans le granit, le porphyre (elvan), la serpentine. À la surface, ils se distinguent par des affleurements rougeâtres, que les mineurs du Cornonailles appellent gossan, et dont l’aspect fait généralement préjuger de la nature et de la richesse du filon en profondeur.

Les filons sont surtout riches en étain aux environs de Penzance, en cuivre aux environs de Redruth. Sur quelques points, ils renferment aussi du plomb argentifère. Dans la même localité l’étain paraît avoir surgi le premier, puis le cuivre, puis le plomb et l’argent, tout cela aux époques géologiques qui ont suivi l’éruption des roches de granit et de porphyre.

La totalité de l’étain exploité annuellement en Angleterre (environ 25 000 tonnes de minerai brut, chaque tonne étant de 1 016 kilog.) vient du Cornouailles ; elle représente du reste, à peu de chose près, toute la production européenne. Il n’y a guère que la Saxe et la Bohême qui, dans l’ancien continent, produisent aussi de l’étain. En Amérique la Bolivie, depuis quelques années, et dans les Indes orientales les Détroits (Banca et Malacca) font à l’étain de l’Angleterre une sérieuse concurrence.

Le minerai d’étain produit par les mines anglaises est très-pauvre au sortir des chantiers ; il renferme en moyenne deux pour cent au plus ; mais comme il est très-dense, et contient en même temps très-peu d’autres minerais métalliques, il est facile de l’enrichir par la préparation mécanique. Nous avons vu de même que son traitement métallurgique n’offrait aucune difficulté.

Outre l’étain de mine, il y a aussi le minerai d’étain d’alluvion, provenant de la désagrégation naturelle des granits et des filons quartzeux, et que l’on exploite aux environs de Saint-Austell. La méthode employée est le lavage à grande eau : elle rappelle celle en usage dans les alluvions aurifères. Le minerai ainsi obtenu est beaucoup plus riche et plus pur que celui provenant de l’abatage des filons. On donne le nom de stream works (expression qu’on pourrait traduire par travaux hydrauliques) à ce traitement des alluvions stannifères, et on appelle steamers les ouvriers qui s’y livrent.