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la mer. Il était juste que la maison de Dieu fût plus haut placée que celle du meunier.

La rivière Fowey est navigable jusqu’à une distance de huit milles dans l’intérieur, jusqu’à Lostwithiel, où sont les bureaux du duché, administré, on le sait, au nom du prince de Galles, dont il forme le plus riche fief.

Les étymologistes font venir le nom de Lostwithiel de Lost within the hills, « perdu au milieu des montagnes. » La position de Lostwithiel répond à cette explication ; mais il n’en faut pas moins reconnaître que les étymologistes sont gens fort ingénieux, et qui ne sont jamais pris au dépourvu.

Après la rade de Fowey, viennent la baie de Saint-Austell et celle de Veryan, parages plus ou moins hospitaliers, puis la magnifique baie de Falmouth, commandée par le château de Pendennis, autrefois prison d’État et forteresse de guerre. Ce château a soutenu un siége fameux à l’époque de la guerre civile, en 1646. Le gouverneur, qui était resté fidèle à la cause de Charles Ier, attaqué à la fois par terre et par mer, réduit par la famine, fut obligé de se rendre. Le château de Pendennis fut, du reste, la dernière place qui tint pour le malheureux Charles. Cette vieille forteresse a été récemment restaurée, entièrement remise à neuf, sans doute pour le cas possible d’une descente des Français.

Falmouth, que défend Pendennis, est un des plus anciens ports de l’Angleterre. À en croire un historien anglais, il aurait même été connu avant la Grande-Bretagne elle-même.

Ou je me trompe fort, ou l’écrivain qui parle ainsi n’était qu’un enfant de Falmouth. Vous êtes orfévre, monsieur Josse ; mais M. Josse me répond que l’on ne saurait trop glorifier son clocher natal. Lord Byron qui, lui, n’était pas de Falmouth, se contente de nous dire que cette ville contient beaucoup de quakers et de poissons salés. Je n’y vois pour mon compte aucun inconvénient : les quakers sont gens très-pacifiques avec lesquels les relations sont les plus commodes, et le poisson salé peut fort bien faire la fortune d’une ville, puisqu’il a fait celle de tout un pays, la Hollande.

On dit que Falmouth est citée dans Ptolémée sous le nom de Kenia. Je n’ai pas vérifié le fait ; mais ce que l’histoire moderne nous apprend fort bien, c’est que Falmouth doit son importance actuelle à sir Walter Raleigh qui, revenant de Guyane et ayant débarqué dans ces parages, en devina d’un coup d’œil l’importance, et informa la reine Élisabeth des avantages qu’offrait cette rade.

Avançons. Aussi bien la barque sur laquelle nous sommes montés ne doit pas faire naufrage en chemin, et il fait bon naviguer sur le papier à l’abri des vents, des brumes, des écueils, sans crainte du roulis, du tangage et du mal de mer, dont on peut dire comme de tant d’autres que c’est un mal sans pitié.

Nous voici à la pointe du cap Lizard, ce cap aux roches serpentineuses, vertes, rougeâtres, bariolées, qui ont valu à la pointe que nous allons doubler le nom caractéristique qu’elle porte. Des familles de carriers et de lapidaires habitent aujourd’hui sur ce point, et la pierre du Lizard, taillée en colonnettes, en vases, en bracelets, en broches, en presse-papier, en coupes, est vendue à bon prix, dans les hôtels de Penzance, aux nombreux touristes qui visitent le Cornouailles. La serpentine du Lizard fait concurrence à la lave du Vésuve travaillée, et elle tenait dignement sa place à l’exposition universelle de 1862, à Londres, dans la section minéralogique. On en avait même fait des tables et des chambranles de cheminée qui l’emportaient presque, au dire des connaisseurs, sur les marbres fleuris italiens. Honneur donc à la serpentine du cap Lizard, et aux premiers carriers et lapidaires qui ont eu l’idée de la tailler, de la polir et d’en tirer si heureusement profit.

Auprès du cap Lizard est Kynance Cove, amas de roches disséminées dans les plus curieuses positions : un endroit qu’on peut voir, qu’on peut peindre, qu’on peut s’imaginer, mais qu’on ne peut décrire, vous disent les Anglais, eux dont les Guides ont tout décrit. Heureusement que nous donnons le dessin de Kynance Cove, et que nous rentrons ainsi dans les conditions du programme en peignant l’objet. Il y a là une roche isolée qu’on nomme l’îlot de l’Asperge, Asparagus island, parce qu’il produit en abondance l’asperge des pharmaciens, asparagus officinalis. Esculape en soit loué ! On y remarque une fissure profonde, où un jet d’eau intermittent est lancé avec force et un bruit formidable par de l’air comprimé : c’est le Soufflet du Diable. Un autre jet plus mince s’appelle le Bureau de poste ; les guides ne disent pas pourquoi. Enfin, trois cavernes ouvertes sur un escarpement sont respectivement appelées la Cuisine, la Salle à manger et le Salon, dénominations qui ne plaident guère en faveur de l’esprit inventif des Anglais.

En 1846, la reine Victoria a visité ce site curieux et sauvage. Il était digne de cette royale visite, car on dit que toutes ces énormes masses, jetées là comme au hasard, ont échappé aux mains du diable, qui voulait bâtir en ce point un pont gigantesque à travers le canal de la Manche, pour donner passage aux contrebandiers. Le diable n’en fait jamais d’autres.

En doublant le cap Lizard, nous entrons dans la baie de Penzance ou du mont Saint-Michel, Mount’s bay, qui nous est déjà connue. N’importe, visitons-la de nouveau, et saluons encore une fois ce mont vénérable au chef couronné d’un saint monastère qui fut jadis un couvent de bénédictins. On dit que ce cloître dépendait de celui du mont Saint-Michel en France, vis-à-vis Saint-Malo. On dit aussi que le mont Saint-Michel des Anglais n’a pas toujours été détaché de la terre ferme, et qu’il existait même au lieu où est aujourd’hui la mer une forêt dont on retrouve des traces sous l’eau. La géographie physique, et surtout la géologie nous dévoilent bien d’autres changements intervenus, depuis l’apparition de l’homme, dans la forme extérieure du globe. À marée basse, une chaussée de douze cents pieds unit encore aujourd’hui Saint-Michel à Marazion, le point le plus rapproché de l’île sur la côte du Cornouailles.