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sur les rives plates des rivières apparaissent de minces bouquets de bois à demi noyés sous les eaux, et quelques champs de blé ou de maïs.

La puzsta a été la grande route des invasions barbares. Aujourd’hui, les seules invasions qu’elle ait à craindre, sont celles des sauterelles, fléau non moins destructeur que les Huns et les Avares, Elle a eu autrefois ses héros-brigands, semblables aux haïdouks des pays serbes, comme elle a aujourd’hui ses kanasz (bergers) et ses csikós (gardeurs de chevaux). Le csikós est le roi de la plaine, comme le klephte le roi de la montagne :

Moi, je suis né sur la plaine et j’y reste ;
Je n’ai ni toit, ni cheminée à moi.
Mais je possède un chien, un bon cheval :
Je suis csikos sur la puzsta magyare.

J’aime à sauter sur le dos d’un cheval,
Dès qu’il me faut entamer quelque course,
Et je me mets sans selle sur son dos :
Je suis csikos sur la puzsta magyare.

La puzsta a eu ses poëtes, et parmi eux le poëte national par excellence, Alexandre Pétoëfy, l’auteur des vers que l’on vient de lire, celui que ses compatriotes ont surnommé le « Tyrtée › et le « Béranger magyar. »

Campement de paysans, à Pesth. — Dessin de Lancelot.

Mais, tandis que je demeure plongé dans la contemplation de ces steppes, j’oublie qu’à mes pieds s’étend toute une ville, une ville curieuse à tous les titres, dont il est temps que je dise quelques mots ; car bien que reliées l’une à l’autre par un pont — un magnifique pont en fer — Pesth-Bude ou Bude-Pesth, comme on les appelle, sont bien en réalité deux villes.

Campement de paysans au marché, à Pesth. — Dessin de Lancelot.

Pesth est la cité moderne, le centre de la politique et des affaires. Quoique ville ancienne, et au treizième siècle essentiellement allemande, Pesth n’a commencé à être quelque chose qu’à partir du dix-huitième siècle. Bude est la ville de l’histoire, des vieux souvenirs. Elle est le passé, Pesth est l’avenir. Bude fut la résidence d’Attila durant une de ses haltes ; Arpad et ses guerriers pénétrèrent jusqu’au pied de ses murailles, ainsi que le témoignent ces deux vers de Révay :

Arpad pénétra jusqu’ici avec son peuple,
Et franchit le Danube près de Kelemfeold.

Mathias Corvin en fit une des premières capitales de l’Europe. En 1541, le 29 août, quinze ans jour pour jour, après que le dernier roi national eut succombé dans les marais de Mohacz, Bude tomba au pouvoir des Turcs, et fut, durant un siècle et demi, un de leurs plus fermes boulevards, le centre de la maison de la guerre, comme l’appellent les historiographes ottomans. Résidence d’un pacha de premier rang, elle était la dixième ville de l’empire, et prenait rang après les trois résidences impériales, Constantinople, Andrinople et Brousse ; après les trois villes saintes de la Mecque, Médine et Jérusalem ; après le Caire, dit l’Incomparable ; après Damas, qui exhale le baume du Paradis ;