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jasmin enroulés de perles et de verroteries, les cassolettes à parfums, les larges bassins pour les ablutions si fréquentes dans le rite musulman, et toute la fantastique chaudronnerie de cuivre rouge.

Rives du Danube en avant de Semlin. — Dessin de Lancelot.

Ce qui manque, ce sont les acheteurs. Du reste, le marchand, quel qu’il soit (j’entends s’il est Turc), ne paraît pas s’en inquiéter beaucoup. Immobile dans un coin de sa boutique, assis sur un banc ou accroupi sur une natte, il fume, ou roule entre ses doigts les grains d’ambre de son chapelet, les yeux à demi clos, étranger en apparence à tout ce qui se passe autour de lui. Si vous vous approchez de sa boutique, et que vous lui adressiez la parole pour lui demander le prix d’un objet, c’est à peine s’il lève les yeux sur vous, en vous répondant. Une fois qu’il vous a dit un prix, n’essayez pas de marchander, il n’en rabattra pas un para. Il y a sans doute de l’apathie, une certaine indolence fataliste au fond de tout cela, mais il y a aussi de la dignité, de la probité. Sous ce rapport, le marchand musulman, quand il ne s’est pas corrompu au contact de la civilisation, est bien supérieur, comme type moral, au marchand chrétien.

Je n’ai parlé que du petit négoce. Le commerce en gros est considérable. Belgrade est le grand entrepôt des marchandises à destination non-seulement de la Serbie, mais de toutes les provinces turques limitrophes, Bulgarie, Albanie, Bosnie. Il fournit à lui seul plus de la moitié de la valeur des importations et des exportations de toute la principauté. Les importations se font par la voie du Danube et de la Save, qu’un service régulier de navigation à vapeur fait communiquer, à Basiach avec les chemins de fer du sud de l’Autriche, à Sissek avec le chemin de fer de l’Adriatique. L’achèvement prochain de la ligne de Sissek à Semlin, l’exécution depuis longtemps projetée de la grande ligne qui, traversant la Serbie dans toute sa longueur, doit relier Vienne à Constantinople, en facilitant les communications et les moyens de transport, auront pour effet d’accroître encore la prospérité commerciale de Belgrade, qui, transformé en port franc, deviendrait bientôt le Hambourg de l’Orient. Mais pour que cette destinée s’accomplisse, une condition préalable est nécessaire : l’expulsion des Turcs de la forteresse.

Vue du Danube en amont de Belgrade. — Dessin de Lancelot.

Du reste, les Turcs ont comme un pressentiment que la Serbie doit leur échapper un jour ; aussi un grand nombre ont-ils déjà quitté Belgrade pour aller s’établir dans les provinces turques environnantes. Il y a dix ans à peine, ils formaient la très-grande majorité de la population dans les quartiers riverains du Danube et de la Save. On ne rencontrait sur ces deux rivières que des bateliers à turban. Aujourd’hui on n’en voit presque plus un seul. E cosi pertutto !

Quant aux indigènes, ce sont, en général, de superbes hommes, à la physionomie franche et ouverte, à la mine fière. Ils ne sont plus raïas ; ils sont libres, indépendants, et l’avenir est à eux. Il fut un temps où