Page:Le Tour du monde - 11.djvu/8

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leure description ne saurait jamais donner qu’une idée peu précise.

J’espère que cette suite de dessins réhabilitera quelque peu Tunis dans l’esprit de ceux qui, d’après la plupart des relations de voyage, croient que cette ville, si belle à l’extérieur, n’est intérieurement qu’un amas informe de laides maisons et un odieux cloaque. Sans doute la première impression ne saurait être favorable ; on n’a pas fait deux cents pas qu’on se sent comme perdu dans un labyrinthe de ruelles étroites et malpropres. C’est bien pis si l’on passe dans les faubourgs, trop près de certains fossés qui, à travers les maisons, mènent à découvert je ne sais quoi d’infect et d’affreux vers le lac ; mais si l’on ne se décourage pas, si l’on pénètre plus avant, surtout si l’on sait voir, on ne tarde pas à être dédommagé par mille rencontres charmantes.

Souvent, au bout de deux rangs de maisonnettes à un étage qui se touchent presque, en sorte que vous voyez les Tunisiens sauter au-dessus de votre tête d’une terrasse à l’autre, on arrive tout à coup devant un café que de beaux figuiers couvrent de leur épais ombrage, ou devant une petite place où d’élégantes colonnes soutiennent des tentes, des planchers de bois, qui abritent des groupes pittoresques d’habitants ; ailleurs, dans un angle, près d’une porte mauresque, verdoie un élégant palmier.

Rue couverte dans la ville haute. — Dessin de A. Bar d’après une aquarelle de M. Amable Crapelet.

Quelquefois on se croirait dans un village, mais, un peu plus loin, un dôme, un minaret, un débris de monument romain ou sarrasin, et mieux encore un marché bruyant, un bazar où se pressent les acheteurs, vous rappellent que vous êtes dans une très-grande ville. Le soleil blanchit, dore, illumine toutes ces scènes. C’est un vrai magicien que ce soleil d’Afrique. Chacun de ses rayons est comme une baguette qui embellit les détails les plus vulgaires ; il paraît, et tout à coup la chaux qui barbouille les murs devient marbre ; une mauvaise toile bariolée étendue sur quelques bâtons prend les tons des plus fins et des plus riches tissus. Le bleu intense du ciel, que découpent vigoureusement tous les profils et où se repose si agréablement la vue, est aussi pour beaucoup dans ces effets qui enchantent, apaisent et font aimer à vivre. Mais pourquoi essayerais-je de dire ce que je sens plutôt en artiste qu’en écrivain ? Je ne sais décrire qu’avec ma palette ; mon crayon même ne rendrait sans doute

    dépenses auxquelles entraînent généralement les réformes ont engagé le bey actuel à élever les impôts ; la captation, entre autres, qui n’était que de 36 piastres (50 francs environ), a été portée au double. Le peuple a saisi ce prétexte pour réclamer contre les réformes mêmes, qu’il ne comprend pas et qui le blessent. Dans plusieurs villes, les autorités ont été mises en fuite ou enfermées dans les forts. Un chef indigène s’est mis à la tête d’une insurrection, et est venu avec une petite armée jus qu’auprès de Tunis, demandant le renvoi du khasnadar, ou ministre des finances. La situation du gouvernement tunisien est d’autant plus critique qu’il avait cru devoir réduire son armée à douze mille hommes pour trouver les fonds nécessaires aux constructions nouvelles.

    « Il est facile de comprendre que les puissances dont les intérêts sont directement engagés dans la Régence n’aient pu voir ces faits sans émotion. La Turquie conserve toujours l’espoir de rétablir à Tunis sa suzeraineté ; elle est soutenue par l’Angleterre, qui par elle se flatte de mettre le pays sous son protectorat. Un agent anglais, M. Wood, n’a pas manqué de répandre le bruit que le gouvernement français avait l’intention de s’emparer de la Tunisie. Le consul de France s’est hâté de démentir cette calomnie, mais en ajoutant, dans l’énergique circulaire adressée aux agents sous ses ordres, « que les exigences de notre position en Algérie ne nous permettraient jamais de fermer les yeux s’il se manifestait, de la part de qui que ce fût, quelque tendance à modifier en Tunisie un état de choses consacré par le temps, par l’assentiment général et par celui du divan (tunisien) en particulier. » Les escadres française et anglaise ont été envoyées devant Tunis ; une division turque s’y est également rendue ; mais l’amiral français a prévenu aussitôt le commissaire turc que toute intervention matérielle serait mal accueillie, et que le gouverneur de l’Algérie avait envoyé dans la province de Constantine des contingents disponibles.

    L’Italie, enfin, qui a de grands intérêts commerciaux sur ce point de l’Afrique, a déclaré qu’elle enverrait des troupes pour soutenir ses intérêts, qui sont les nôtres, si par malheur un conflit se produisait entre les puissances qui surveillent en ce moment l’insurrection. »