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sauces de l’autre, je ne pus que féliciter ces époux-enfants sur leurs dispositions précoces. Si je ne les comparai pas à Daphnis et Chloé dont ils rappelaient l’innocente histoire, c’est que Jean, Indien croisé de Balzano et de Tarapote, me parut trop laid pour un berger grec et Jeanne, Indienne Cumbaza, trop camarde pour une héroïne de pastorale.


Jeanne de Cumbaza, cuisinière de la Mission de Tierra Blanca.

Sur un ordre du révérend le jeune couple se mit en devoir de nous préparer du café. Pendant que l’époux concassait le grain de la rubiacée et que l’épouse mettait une casserole sur le feu, je poursuivis, avec l’agrément de mon hôte, ma revue du logis et du mobilier. À l’extrémité de la salle et formant avec elle un angle droit, se trouvait une petite pièce qu’on ne voyait pas en entrant et qui servait de cellule au Père Antonio. Deux claies en roseaux ornaient ses parois latérales et chacune d’elles pouvant supporter une moustiquaire, cette cellule solitaire devenait au besoin une chambre à deux lits. Son ameublement se composait d’un coffre à cadenas dans lequel le missionnaire gardait les pièces de cotonnade, les haches, les couteaux, les hameçons, les verroteries nécessaires à ses transactions commerciales avec les sauvages des environs.

Le café pris en commun dans la salle banale, mon hôte, en bon propriétaire, eut à cœur de me promener à travers sa Mission sans me faire grâce d’un seul détail. Notre première visite fut pour l’église que je n’avais entrevue que la nuit, à la lueur d’un cierge et dont la nudité, au grand jour, me parut glaciale. Qu’on se représente un long parallélogramme avec des murs en terre et un toit de chaume ; pour autel un coffre en bois de Mohena, sur ce coffre un caisson blanchi à la chaux servant de tabernacle, puis sur le caisson un petit crucifix accoté de deux chandeliers en fer-blanc garnis d’un bout de cierge. Deux nattes étendues parallèlement de chaque côté de la nef et servant aux néophytes de tapis pour s’agenouiller, complétaient la décoration du lieu saint.

Nulle solennité, nulle procession, au dire de mon cicerone, ne signalaient à Tierra Blanca, les diverses fêtes du calendrier et cela par la raison majeure que la Mission ne possédait aucune image, bannière, oriflamme ou drapeau, qu’on pût à l’occasion, exhiber devant les fidèles. Les ornements de première nécessité, chappe, chasuble, étole, manipule, manquaient même au Père Antonio, qui se voyait contraint de monter à l’autel et d’offrir le saint sacrifice en soutane de percaline. Mais cette indigence dont tout autre que lui se fût attristé, n’altérait en rien la sérénité de son âme. Aux ostensoirs d’or, aux chappes de brocart, aux aubes de dentelle et à l’obligation de faire acte de soumission devant un supérieur, il préférait, nous disait-il, ingénument, sa misère, sa liberté et Dieu pour seul maître et seul juge de ses actions.

L’église visitée nous parcourûmes la Mission. Tierra Blanca compte à cette heure quarante ans d’existence. Ses maisons au nombre de trente-sept, sont dispersées dans les halliers comme celles de Sarayacu et réunissent quarante hommes, quarante-trois femmes et soixante-dix-huit enfants. Ces néophytes sont des Indiens Tarapotes, Balzanos et Cumbazas de la rivière Huallaga auxquels se sont adjoints quelques Sensis. Leurs chacaras ou plantations, situées autour du village, n’ont rien qui les distingue de celles de leurs frères de la Mission centrale.

Profitant de la tournée que nous faisions ensemble, le révérend, pour faire, disait-il, d’une pierre deux coups, entra dans des maisons où se trouvaient de pauvres malades en danger de mort. Sans connaissances en médecine et n’ayant d’ailleurs aucun remède à leur administrer, ses prescriptions thérapeutiques se bornaient à leur souhaiter le bonjour et à plaisanter avec eux tout en les exhortant à la patience. C’était peu sans doute ; mais Dieu qui tient compte à l’homme de ses bonnes intentions, permettait que ces moribonds reçussent du soulagement de cette visite de leur régulateur spirituel et du mot pour rire avec lequel il essayait d’endormir leur souffrance.

Un détail charmant me retint un moment au seuil d’une de ces demeures. Comme opposition au vieil aïeul agonisant dans son hamac, une jeune mère baignait son enfant dans une spathe de palmier et lui faisait de pe-