Page:Le Tour du monde - 14.djvu/126

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la discrétion du sauvage était à l’épreuve d’une pareille bagatelle ; il éclata de rire au nez du religieux et lui tourna le dos.

Un second individu se montra plus communicatif, ébloui qu’il fut par l’offre d’un couteau de table que le missionnaire avait substitué au couteau pliant. Il parla d’un arbuste et d’une liane qui entraient dans la composition du toxique, mais ne voulut jamais indiquer leur espèce, ni s’expliquer sur la façon dont on les employait.

Plus d’une heure se passa à négocier cette affaire ; au lieu d’un seul couteau que le révérend avait présenté au début, il en offrait trois maintenant. La tentation était au-dessus des forces d’un sauvage. Deux Yahuas, le beau-père et le gendre, y succombèrent à la fois. L’un promit d’apporter une branche de l’arbuste en question, l’autre un tronçon de la prétendue liane. C’était beaucoup, sans doute ; mais plus je me rapprochais du but, plus je devenais exigeant. Je demandai donc à nos pourvoyeurs des fleurs ou des fruits de ces végétaux. Ils me répondirent, assez sèchement, que la saison en était passée.

À l’affût.

Bien que soumises à la loi périodique de la végétation, les forêts de cette Amérique ne laissent pas de jouir de certains priviléges inconnus à nos forêts d’Europe ; ainsi, tandis que la masse des végétaux fleurit et fructifie à une époque déterminée, quelques individus donnent des fleurs et des fruits avant ou après la saison ; c’est sur ces végétaux hâtifs ou retardataires que j’avais compté pour le succès de ma négociation. Après des débats qui se terminèrent à mon avantage, les deux Yahuas partirent et ne revinrent que le surlendemain ; pour trouver des fleurs et des fruits de leurs plantes, ils avaient fait, nous dirent-ils, quinze lieues à travers les bois. L’un d’eux me tendit la branche grêle d’un arbuste à feuilles oblongues, opposées et quinquinervées comme celles des mélastomes ; de l’aisselle d’un des ramuscules pendait une grappe de fruits pareils à ceux de l’Ubilla ; chaque fruit, de la grosseur d’un grain de chasselas, était formé d’une coque ligneuse, déhiscente, couleur d’ocre jaune, drapée et veloutée à l’extérieur, laquelle, en s’ouvrant, laissait voir dans leurs loges, quatre graines et peu près semblables à celles du ricin. L’autre Yahua me remit un tronçon de liane plate, d’une épaisseur de deux centimètres, d’une largeur de vingt, et dont l’écorce fine et blanchâtre rappelait celle du bouleau ; cette liane était dépourvue de feuilles, mais portait, au-dessous d’un fragment de vrille ligneuse de la grosseur du petit doigt, trois grandes fleurs du genre des légumineuses papillonacées ; — un dolichos peut-être. — La carène de ces fleurs était d’un blanc rosâtre ; les ailes d’un lilas vineux et l’étendard