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temple de Benten ne paraissent pas vivre dans l’opulence. Leur costume est généralement malpropre et négligé ; l’expression de leur physionomie a quelque chose d’hébété, de maussade, et de très-malveillant pour les visiteurs étrangers. Aussi se tient-on volontiers à une respectueuse distance de leur sainte personne.

Je n’ai jamais eu l’occasion de les voir officier, sauf une fois à la procession de leur fête patronale. Il paraît que dans la journée, en temps ordinaire, ils se bornent, pour ainsi dire, à donner des consultations. Je n’ai vu d’ailleurs que très-peu de gens recourir à leur ministère, et c’étaient habituellement des femmes de campagnards ou de pêcheurs, ainsi que des pèlerins en passage. Mais plus d’une fois, au coucher du soleil, et même fort avant dans la nuit, j’ai entendu retentir les tambourins qui, en dehors des solennités, composent à eux seuls l’orchestre du temple de Benten. Les bonzes exécutent sur cet instrument monotone des batteries interminables, toujours sur le même rhythme, par exemple, quatre coups égaux et forts, suivis de quatre coups égaux et sourds, et ainsi de suite, pendant des heures entières, probablement le temps requis pour éloigner les malignes influences. Rien n’égale l’impression mélancolique que produit ce bruit sourd et cadencé, lorsqu’il se mêle dans le silence de la nuit aux gémissements des grands cèdres et des vagues de la mer. On finit par en être obsédé comme d’un cauchemar. Mais l’on peut dire aussi que la religion dont de pareils usages sont l’expression, pèse en effet sur l’esprit du peuple comme un rêve plein de malaise et de folles terreurs ? Loin d’être la religion naturelle, le paganisme est l’ennemi de la nature humaine, la religion de l’homme dénaturé ; et c’est pourquoi, prise sur le fait, son apparition provoque je ne sais quel trouble indescriptible, quelle répulsion instinctive, qui me semble être précisément l’indice de ce caractère tout spécial, bien plus encore que l’effet des préventions de notre éducation chrétienne.

Un gouverneur japonais. — Dessin de A. de Neuville d’après une aquarelle de M. A. Raussin.

L’accompagnement obligé des temples japonais, ce sont les maisons de thé, c’est-à-dire, des restaurants où l’on consomme surtout du thé, mais aussi du saki, boisson enivrante faite de riz fermenté ; on y mange des fruits, du poisson, des gâteaux de riz ou de froment, et l’on y fume dans de très-petites pipes de métal, un tabac haché très-fin et toujours exempt de préparations narcotiques : la passion de l’opium est inconnue au Japon. Ces établissements, toujours desservis par des femmes et très-généralement avec une décence irréprochable, sont, pour la plupart cependant, des lieux de fort mauvais renom. C’est le cas en particulier de ceux que l’on rencontre au pied des toris de Benten. Cette circonstance nous reporte peut-être à une époque où la petite île dédiée à la pa-