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si favorable au déploiement de la vie des plantes. Aussi les maladies les plus cruelles et les fièvres qui pardonnent le moins naissent-elles dans le Téraï où, dans toutes les saisons de l’année, les forêts et les jungles se recouvrent dès le matin d’une couche de brouillards fins et transparents ; dans le courant du jour, quand le soleil darde à pic ses rayons incandescents dont la saison des pluies n’atténue que passagèrement la chaleur, le sol du Téraï semble fumer ; de son sein s’élèvent de hautes colonnes de vapeurs marécageuses encore empoisonnées par les miasmes empestés qui s’échappent des corps en putréfaction. Ni l’Européen, ni même l’Indou ne peuvent habiter cette région ; on n’y voit que quelques misérables tribus, tombées dans la dernière abjection, débris des autochtones de l’Asie centrale. Ces malheureuses populations se sont faites avec le temps à ce climat mortel et elles y vivent dans des huttes de bois et de feuillages construites ça et là au sein des clairières.

Le Karakoroum court parallèlement à l’Himalaya et a juste la même longueur que lui ; il lui est inférieur pour le nombre des pics de première grandeur, mais il le surpasse par sa plus grande hauteur moyenne au-dessus du niveau de la mer.

Le Kouen-Loun, la plus septentrionale des trois chaînes de la Haute-Asie, est aussi la plus petite, bien que son étendue soit encore de beaucoup supérieure à celle des Alpes ; il court droit de l’est à l’ouest et, semblable en cela à l’Himalaya, plonge, presque sans croupes avancées, par une perte d’une prodigieuse roideur sur les plaines du Turkestan et de l’Asie centrale, mais nulle zone marécageuse, aucun Téraï ne longe la base du Kouen-Loun.

La longueur de la Haute-Asie égale celle d’une ligne qui relierait la Grèce à l’Espagne. On se fera une idée approximative de sa largeur en songeant qu’un voyageur faisant huit lieues par jour mettra, dans le cas le plus favorable, soixante jours pour aller de la pente sud de Himalaya, à travers le Karakoroum, au versant nord du Kouen-Loun.

La Haute-Asie, qui se termine a l’est sur le Brahmapoutra, à l’ouest sur l’Indus, forme à ces deux extrémités un labyrinthe de montagnes où l’Himalaya, le Karakoroum et le Kouen-Loun se mêlent si intimement qu’on ne peut pas plus y distinguer l’une ou l’autre des trois chaînes, qu’on ne reconnaît le cours d’eau principal dans les branches fluviales d’un vaste delta.

À l’est, ces contre-forts pénètrent profondément dans la Chine propre, mais on ne sait rien de certain sur la direction qu’ils y prennent, sur l’altitude à laquelle parviennent leurs plus grands sommets.

À l’ouest, les ramifications de la Haute-Asie forment l’Hindou-Kouch, les monts de Caboul et même, en allant vers le sud, la chaîne des monts Soliman qui limitent à l’ouest le bassin de l’Indus.

Au pied méridional de l’Himalaya se déroulent les grandes plaines de l’Inde. Entre la pente septentrionale de l’Himalaya et la pente méridionale du Karakoroum est le Turkestan ; à la base septentrionale du Kouen-Loun, de vastes plaines et des steppes bornent l’Asie centrale.

La configuration géographique de l’Himalaya est très-distincte de celles du Thibet, du Karakoroum et du Kouen-Loun. À peu d’exceptions près, telles que le Cachemire et le Koulou, l’Himalaya est coupé dans tous les sens par d’étroites vallées à pentes abruptes au fond desquelles courent en mugissant des torrents rapides ; de toutes parts il est sillonné de hautes crêtes qui se distinguent tantôt par leurs puissants pics neigeux, tantôt par un chaos de sommets sauvages et déchirés d’une étonnante variété de formes. L’Himalaya n’a pas de plateau ; les lacs, qui contribuent tant à la beauté des montagnes y sont rares et ne s’y rencontrent qu’à des altitudes moyennes.

Le Thibet est une vallée longitudinale parallèle à l’Himalaya ; son étendue et sa hauteur au-dessus du niveau de la mer en font l’une des plus remarquables de la terre. La partie orientale a pour cours d’eau le Dihong, affluent du Brahmapoutra ; dans la partie occidentale coulent l’Indus et le Satledj. La grande ligne de faîte qui divise la vallée tibétaine en deux bassins, celui de l’est et celui de l’ouest, s’élève insensiblement jusqu’à la hauteur considérable de quinze mille quatre cents pieds. Près de cette ligne de faîte se trouvent quelques lacs. L’altitude de la vallée thibétaine est si exceptionnelle, comparée à celle des vallées d’Europe, qu’elle a été la cause principale de l’erreur qui a longtemps fait regarder le Thibet comme un plateau.

Sa portion orientale, baignée par le Dihong et où s’élève, à dix mille pieds environ d’altitude, la ville de Lhassa, capitale du pays et résidence du Dalaï-Lama, chef religieux des Bouddhistes, nous est presque totalement inconnue malgré les voyages des missionnaires Huc et Cabet. Le Thibet occidental, en revanche, a été plusieurs fois exploré par les Européens. Il comprend trois provinces :

1o Le Gnari-Khorsoum, le grand Thibet de quelques géographes, beaucoup mieux nommé le Haut-Thibet. La capitale est Gartok.

2o Le Ladak, ou Thibet moyen, capitale Leh.

3o Le Balti, ou petit Thibet, capitale Skardo.

Le Gnari Khorsoum, la plus orientale et la plus élevée des trois provinces, commence à la ligne de partage des eaux. C’est une dépendance de l’empire chinois. La vallée de l’Indus y est extrêmement large (10, même 12 et 15 lieues). Dans le Ladak, cette vallée se resserre et s’agrandit tour à tour et n’a plus que rarement trois ou quatre lieues de largeur ; dans le Balti, c’est-à-dire dans la province la plus occidentale et la plus basse, elle est si étroite qu’elle prend parfois le caractère d’une gorge. Dans les trois provinces, une multitude de vallées latérales viennent empiéter, des deux côtés du fleuve, sur le territoire de la vallée principale ; des deux côtés aussi s’élèvent des chaînes de montagnes secondaires, bordant parfois l’Indus, s’en écartant souvent beaucoup. Toutes ces vallées latérales, toutes ces chaînes