Page:Le Tour du monde - 14.djvu/240

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ques sapins morts et où la rive opposée était moins encombrée de troncs, de roches et de broussailles.

Après avoir fait traverser les chevaux, nous commençâmes à abattre du bois, à faire le radeau. Quand il fut prêt on se prépara au passage ; mais le courant était si violent qu’à peine à bord et avant que nous eussions pu nous servir convenablement de nos perches, le radeau était emporté. Enlevés dans un rapide furieux, nous le passâmes comme une flèche et nous nous vîmes lancés contre un gros sapin, à travers les branches inférieures duquel l’eau entrait en bouillonnant comme sous la roue d’un moulin. À terre ! à terre avec la ligne ! s’écria L’Assiniboine, et, au moment où nous passions près du bord, faisant dans l’eau un saut désespéré, il saisit les arbustes, escalada la rive et enroula sa corde autour d’un arbre. Au même instant, Cheadle sautait de son côté et avec sa corde en faisait autant. Malheureusement ces cordages, pourris par l’humidité, se brisèrent comme du fil, et le radeau, entraîné sous le sapin, disparut dans l’eau. Milton et la femme furent enlevés par les branches comme des mouches. Quant à M. O’B., par un hasard inexplicable, il réussit à s’accrocher au radeau et nous le vîmes plus bas reparaître avec lui à la surface de l’eau, assis, en silence, immobile. L’Assiniboine et son fils, qui avait en même temps que son père sauté à bord, s’élancèrent à la poursuite du radeau. Cheadle allait les suivre, avec la notion confuse que tout le monde excepté lui était noyé, lorsqu’il entendit un cri partant du sapin couché sur l’eau. Il jeta les yeux dans cette direction et aperçut Milton, qui se tenait accroché aux branches, le corps passé sous le tronc et la tête tour à tour couverte ou découverte par l’eau. La femme se trouvait un peu plus loin dans une position semblable. Tous les deux étaient dans l’imminent danger d’être entraînés à chaque minute. Cheadle leur cria de tenir ferme, au nom de Dieu, et, se glissant le long de l’arbre, il parvint à saisir Milton qui était le plus près de lui.

Naufrage sur la rivière du Canot. — D’après MM. Milton et Cheadle.

Ensuite nous nous avançâmes tous deux avec précaution au secours de la femme, qui heureusement fut sauvée. Le radeau fut bientôt aussi arrêté par un arbre penché, et M. O’B. s’élança sur la terre.

Nous nous occupâmes alors à sécher nos effets et à constater nos nouvelles pertes. Les paquets qui contenaient tout ce que possédait L’Assiniboine et sa famille avaient disparu ; mais la fortune nous avait conservé nos fusils, nos poires à poudre et le peu de provisions que nous avions encore.

Traduit par J. Belin de Launay.

(La fin à la prochaine livraison.)