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société romaine, la ville de Clermont, contrairement à tant de cités de la vallée du Rhône et du Languedoc, n’a conservé aucun de ses monuments antiques. Mais on ne saurait s’en étonner lorsqu’on se rappelle les récits des vieux chroniqueurs de la conquête franke et de l’invasion sarrasine.

Dès l’année 532, Théodorik, l’un des quatre fils et successeurs de Chlodowig, dit aux Ripuaires qui formaient sa truste ou horde : « Suivez-moi dans la contrée des Arvernes ; c’est un pays ou vous prendrez de l’or et de l’argent autant que vous pouvez en désirer ; où vous enlèverez en abondance des troupeaux, des esclaves et des vêtements. Et les Ripuaires suivirent leur chef sur les terres des Bituriges et des Arvernes, et firent payer rudement à ceux-ci la résistance qu’ils avaient opposée à la première invasion (celle de Chlodowig après la bataille de Vouglé). Tout fut dévasté dans ces deux provinces ; les édifices civils et religieux furent rasés jusqu’au niveau du sol. Les jeunes femmes, leurs enfants et les adolescents traînés, les mains liées, à la suite du bagage, furent emmenés au loin et vendus comme esclaves. Rien ne fut laissé à ceux des habitants qui ne périrent pas par le glaive, si ce n’est la terre seule que les barbares ne purent emporter[1]. »

Rue des Gras, à Clermont. — Dessinée sur place par Hubert Clerget.

Deux siècles après, date pour date, le torrent d’hommes et de chevaux, issu du fond de l’Arabie à la voix de Mohammed, et grossi par les contingents de l’Atlas et du Sahara, déborda de l’Espagne inondée sur le midi et le centre des Gaules. Les volcans éteints de l’Arvernie virent bondir sur leurs pâturages les agiles coursiers de l’Yémen et de la Numidie, et la noble cité d’Auvergne (Urbs Arvernia), « si florissante qu’elle fût redevenue par les soins de ses évêques et les pompes de l’Église, si bien gardée qu’elle fût par l’épée de ses défenseurs, par la hauteur de ses tours, par l’épaisseur de ses murailles, ne put échapper aux ravages de cette horrible tempête. » Elle fut incendiée, et sa cathédrale, bâtie par Namace, neuvième évêque, devint la proie des flammes[2].

Clermont avait à peine eu le temps de sécher ses plaies et de relever ses ruines que son obstination à rester Gallo-Romaine attira de nouveau sur elle la fureur des Francs d’Austrasie et de Neustrie. En 761, conduits par Pepin, qui fondait une nouvelle dynastie, ils passèrent la Loire et ravagèrent l’Aquitaine jusqu’à la contrée des Arvernes dont ils prirent d’assaut et brûlèrent la métropole, faisant périr dans l’incendie une foule d’hommes et d’enfants. « Ils ne rentrèrent dans leur pays que gorgés de butin, pleins de joie et louant Dieu qui les avait guidés dans cette heureuse expédition[3]. »

C’est par ces rudes épreuves et je ne sais combien d’autres du même genre, subies lors des invasions normandes et anglaises, que la cité d’Auvergne apprit à devenir Française. On ne saurait donc s’étonner si, robée, arse et courrue tant de fois, elle ne conserve aujourd’hui que des débris pulvérisés du temps où elle était Gauloise et Romaine. Cependant, suivant Savaron, « on ne peut y fouiller dans la terre que l’on ne trouve des antiques, des médaillons, des urnes, des inscriptions romaines et chrétiennes, des fragments de thermes, d’aqueducs, des marbres et des poteries d’une merveilleuse rougeur et polissure, et autres monuments d’antiquité[4]. »

Ces vénérables restes, grossis des contingents fournis par deux siècles de fouilles, forment aujourd’hui la portion la plus intéressante du musée de la ville. C’est là que j’ai passé de bonnes heures à les contempler.

Quand sous les hautes ogives de la cathédrale, et

  1. Voy. Grégoire de Tours ; — les Actes de saint Austremoine ; — la Chronique de Hugon de Verdun.
  2. Voy. le continuateur de Frédégher.
  3. Frédégher et son continuateur.
  4. Antiquités d’Auvergne, par Jean Savaron. — Né à Clermont vers 1558, mort en 1622, ce fils de la vieille Auvergne fut aussi remarquable par son savoir que par son caractère. Député du tiers aux états généraux de 1614, il y souleva l’indignation des deux autres ordres par une liberté de langage qui recommande sa mémoire aux enfants de la France nouvelle.