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dont on lui a parlé et tandis qu’il attire ainsi de ce côté l’attention des masses gauloises, il fait passer à couvert tout le reste de son armée dans son camp le plus rapproché de la place, et lance directement sur Gergovie trois légions qu’il appuie de sa personne avec deux autres. En peu d’instants, l’intervalle qui sépare le plateau de la Roche-Blanche des rampes de l’oppidum est franchi, le mur de six pieds forcé, le camp gaulois envahi, et les légionnaires victorieux arrivent avec les fuyards jusqu’aux portes mêmes de la ville.

Alors des cris d’épouvante s’élèvent de l’intérieur ; du haut des remparts des mères de famille jettent aux assaillants de l’argent, des bijoux, de riches étoffes ; et le sein nu, les bras étendus, elles implorent la pitié des Romains pour elles et pour leurs enfants… Pendant ce temps quelques légionnaires escaladaient la muraille.

Mais le bruit du combat, les clameurs de la cité étaient parvenus jusqu’à Vercingétorix. Sa cavalerie lancée à toute bride par le col des Goules vient tomber comme une avalanche sur le flanc de l’ennemi, l’infanterie suit à la course ; les garnisons de l’oppidum et du camp se rallient ; les femmes, honteuses d’avoir tendu aux Romains des mains suppliantes, maintenant debout sur le mur, les cheveux épars, leurs enfants soulevés dans leurs bras, excitent leurs défenseurs de la voix et du geste. Le lieu, le nombre, tout rend le combat inégal, les légions plient ; l’apparition sur leur droite d’un corps d’auxiliaires Éduens, chargé par César d’opérer une diversion, et qu’elles prennent pour une division ennemie, achève de jeter la terreur dans leurs rangs ; elles sont précipitées le long des escarpements de la montagne et rejetées en désordre sur leur réserve. César, posté sur un terrain moins défavorable avec sa fidèle dixième (j’allais dire avec sa garde), couvre avec peine leur retraite dans ses retranchements.

Le Puy de Dôme et la berge occidentale du bassin de la Limagne, vus des hauteurs de Risoles. — Dessin de H. Clerget d’après nature.

Trois jours après il abandonnait ses lignes et mettait l’Allier entre lui et l’armée gauloise, pendant que les têtes sanglantes de sept cents légionnaires et de quarante-six centurions ou tribuns, séchaient sur le couronnement des portes de l’oppidum.

« Ainsi, » dit le plus national de nos historiens, « les défenseurs de Gergovie prouvèrent que l’invincible César pouvait être vaincu[1]. » Le retentissement de ce fait fut immense dans toute la Gaule ; il rallia à la cause de l’indépendance les tribus, les clans, les cités qui hésitaient encore. On peut donc faire dater de cette journée le premier élan des enfants du sol vers cette unité nationale que leurs descendants ne devaient conquérir qu’après dix-neuf siècles de douleurs et d’épreuves, de défaillances et de convulsions.

À ce titre nous regretterons toujours que la statue de Vercingétorix, qui figure aujourd’hui sur le plateau d’Alésia et n’y apparaît guère que comme un trophée enchaîné à la mémoire du conquérant romain, n’ait pas été érigée plutôt sur le point culminant de Gergovie. Là du moins ce bronze colossal n’eût soulevé ni doutes ni ambages, et eût été salué, — par les innombrables regards qui du fond de la Limagne, des plateaux du Forez et des Dômes, des contre-forts du Mont-Dore et du Velay, se tournent chaque jour vers la vieille acropole de la France centrale, — comme un pieux hommage aux origines sacrées de la patrie.

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En échangeant ces pensées et d’autres semblables, nous avions abandonné le plateau aux seuls êtres vivants qui nous y ayons vus, — deux ou trois vipères se traînant au soleil, — et nous suivions, le long de sa pente qui fut le théâtre de l’attaque et de la défaite de César, un chemin accidenté de mauvais pas, praticable

  1. Henri Martin, Hist. de France, t. Ier, l. IV.