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ont inspiré le sculpteur de Brioude, n’avaient pas certainement une langue qui, après bien des contorsions, forme la tige d’une palmette[1]. »

Du reste, ces caprices d’exécution qui, presque tous, répondent à une pensée pieuse ou satirique, sont le caractère dominant de l’ornementation, pleine de réalisme, de l’architecture du moyen âge. Comme le vocabulaire latin, le ciseau du sculpteur religieux bravait alors l’honnêteté, et certains bas-reliefs allégoriques de Saint-Julien de Brioude sont d’un symbolisme trop cru pour être relaté ; j’aime mieux citer ce diable à tête de bouc qui, tordant le cou à deux joueurs de harpe, indique, sans aucun doute, le supplice réservé en enfer aux rimailleurs et écrivailleurs impies qui se permettent de chanter et de jongler aux dépens des moines et des clercs.

Les gorges de la Loire entre le bassin du Puy et celui du Forez.

En quittant les voûtes de Saint-Julien, nous nous dirigeâmes vers l’Allier, par la route du Velay. Une promenade d’une demi-heure, à travers une plaine fertile, bien cultivée et bordée, au couchant, de vignobles et de maisons de campagne, nous amena au bourg de la Vieille-Brioude, où je voulais attendre le passage de la diligence, chargée de nous porter jusqu’au chef-lieu de la Haute-Loire. Le motif qui nous faisait devancer sur ce point notre véhicule, attardé à la gare, ne résidait ni dans les vestiges de constructions romaines, ni dans les ruines de murailles féodales, ni même dans l’église romane dont s’enorgueillit la Vieille-Brioude, mais simplement dans le désir d’y contempler du haut d’un pont, remarquablement hardi, l’étroit et profond défilé par où l’Allier débouche de ses montagnes natales, et qu’on peut considérer comme la porte supérieure de la Limagne Je voulais aussi, au moment de franchir les limites de l’Auvergne, me retourner un instant sur le seuil de cette belle contrée, pour lui jeter un regard d’adieu.

Avant que la diligence ait pu nous rejoindre, nous dépassons le pont, et coupant au plus court, à travers les courbes que la route décrit pour s’élever sur les pentes de la rive valaisienne, nous atteignons l’arête d’un plateau qui commande une immense perspective sur le cours et la Vallée de l’Allier. De là, nos regards suivent les sinuosités de la rivière bien en aval d’Issoire, et, se perdant dans les ondulations des terrains de la Limagne, ne s’arrêtent au couchant que sur la ligne

  1. Mérimée, Voyage en Auvergne.