Page:Le Tour du monde - 14.djvu/298

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déjections volcaniques en une énorme croûte où toutes se sont mêlées et confondues. Ainsi a été créée une plaine fort étendue, et légèrement inclinée, ou quelques cônes clair-semés ont surgi à l’est de la ligne principale. Chacun d’eux a, selon toute probabilité, fourni son contingent à la mer de basalte qui couvre la plaine ; mais toute recherche sur le contingent de chacun serait vaine et puérile. Dans le voisinage du Puy on en voit un petit nombre qui ont fait eux-mêmes irruption à travers le grand courant volcanique qui, descendu du Mézenc, avait antérieurement envahi et recouvert les formations d’eau douce ; telles sont les montagnes de Sainte-Anne, de Seinzelles, de Crousteix, d’Eysenac et de Mont. Les nombreux fragments de granit et de gneiss implantés dans leurs scories prouvent que la source de leur éruption était située à une plus grande profondeur que celle qui avait fourni la brèche et le basalte à travers lesquels ces puys se sont fait jour. Sur plusieurs points, les cônes ont surgi immédiatement du granit comme dans le voisinage de Chaspinhac et de Courant. On peut citer, entre autres, la belle montagne de Bar, le seul volcan du Velay qui, par la régularité parfaite de ses formes, rappelle les Puys de la chaîne des Dômes. Nous l’avons entrevu à plusieurs reprises, dominant de sa masse conique et de sa couronne de hêtres toute la vallée de la Borne, entre Allègre et la route de Brioude, dont nous suivions les replis. Je n’essayerai pas de le décrire après Mme Sand, qui a choisi la coupe profonde et verte de son cratère pour le cadre de la scène la plus émouvante et la plus pure qu’ait créée sa plume inspirée.

Mais laissons derrière nous les souvenirs de Jean de la Roche et les reflets lumineux qu’ils projettent sur les murailles fauves, sur les tourelles élancées du vieux manoir, qui, là-bas, au fond du ravin, creusé sur notre gauche, s’affaissait comme la belle au bois dormant sous le sommeil des siècles, lorsque naguère un enchanteur est venu le réveiller en le rattachant aux créations de son génie.

Nous, qui ne possédons pas la baguette des fées, passons ; le sol aride de la science réclame de nouveau toute notre attention. Voici la montagne de Denise que longe la route de Brioude, et qui, grâce à son voisinage de la ville du Puy, est devenue l’objet de recherches spéciales et le sujet de nombreuses controverses. C’est une éminence de 890 mètres d’altitude, de forme oblongue, et dont le sommet et les revers sont couverts d’amas de scories toutes fraîches d’apparence, de lapili et de pouzzolane. Ces déjections sont évidemment sorties du sein de la montagne même, dont le noyau central est formé par une roche bréchiforme, entièrement semblable à celle qui constitue la butte dite de Corneille, dans la ville même du Puy.

Le cratère du Mont-Denise n’existe plus ; mais on peut cependant suivre d’épaisses coulées de laves depuis son sommet jusque dans le fond des vallées environnantes. L’une d’elles s’allonge au sud en forme de promontoire sur la rivière de la Borne, et projette le long de ses rives deux rangées de basalte prismatique, en face l’une de l’autre. Celle de droite, accolée à une masse énorme de rochers à pic, bien connue sous le nom d’Orgues d’Expaly (voy. le frontispice, p. 289), est formée de colonnes d’un pied de diamètre sur dix, quinze et parfois vingt mètres de longueur. Celle de gauche, qui porte le nom de Croix de la Paille, représente assez bien, par l’entassement et la direction divergente de ses innombrables prismes, l’image d’un immense chantier de bois écroulé.

Au pied de ces colonnades de laves coule doucement sur le sable et la mousse un petit ruisseau, le Riou Pezoulliou, dans lequel on recueille, après les grandes pluies, des grenats, des zircons, des saphirs. Mais ce n’est pas pour contempler ces jeux puérils de la nature que le savant se décide à gravir le sommet du Denise ; ce n’est pas non plus pour y embrasser d’un regard les vastes contours du bassin de la Haute-Loire, dont la concavité tout entière se creuse autour de lui.

Dans la couche de tuf scoriacé, considérée comme homogène, qui s’étend d’un bord à l’autre de la montagne, on a trouvé, d’un côté, des ossements d’éléphants, de rhinocéros, de cerfs gigantesques, et de l’autre, les restes d’au moins deux squelettes humains.

Tout le monde peut voir dans le musée de la ville du Puy un bloc de cette brèche contenant la plus grande portion d’un crâne et plusieurs autres ossements paraissant appartenir au genre homme, ou tout au moins bimane.

Cette découverte date de 1844, et bien que les circonstances qui s’y rattachent, soigneusement étudiées par M. Aimard, un de ces érudits modestes et consciencieux qui honorent la province, eussent été exposées par lui à la Société académique du Puy, elle demeura sans grand retentissement jusqu’au moment où la société de savants errants, qui prend le titre de Congrès scientifique de France, se réunit au Puy pour délibérer sur le fait. C’était en l’an de grâce 1856.

La trouvaille du Mont-Denise datait de douze ans ; dans l’intervalle la science avait terriblement marché, et elle touchait déjà à ces sommets vertigineux, du haut desquels le plus mince bachelier, le plus piètre fruit-sec du moindre concours peut aujourd’hui regarder de haut les maîtres révérés de notre jeunesse et sourire avec dédain aux noms de Buffon, de Laplace et de Cuvier.

Aussi l’authenticité des spécimens funéraires du Mont-Denise ne fut pas même discutée dans le congrès ; nul doute raisonnable ne pouvait être permis à ce sujet[1]. Que le Velay eût été habité par l’homme à l’époque de l’éruption des volcans les moins anciens, il n’y avait réellement pas de quoi être surpris ; mais déduire de là l’existence contemporaine sur le même sol, de notre race et de nombreuses espèces de grands pachydermes aujourd’hui éteintes, voilà qui était plus hardi et tout aussi discutable que le système qui ne verrait que des con-

  1. G. Poulett Scrope, The Geology and extinct volcanus of central France, chap. VII.