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servir le thé et le riz. À cette heure matinale, elle est encore déserte, et son mobilier reste abandonné à la bonne foi publique. J’ai vu quelque chose de pareil dans les pasangrahans des montagnes de Java.

La descente est rapide. Un beau faisan doré nous regarde de la lisière d’un petit bois. L’un de mes compagnons ne peut résister à la tentation de lui lâcher un coup de revolver. Le faisan, qui n’a pas été touché, ne se dérange pas pour si peu. Cependant, toute réflexion faite, il trouve bon, pour mieux observer, de se percher au sommet d’un chêne, où, à ma vive satisfaction, il est hors de portée de nos armes.

Nous traversons, à mi-côte, un village coquettement groupé parmi les arbres et les fleurs, sur les bords d’un torrent que l’on a canalisé pour amener de l’eau à des moulins à riz. Quelques indigènes sont occupés autour de leurs habitations. En nous apercevant, une femme se hâte de rappeler ses deux enfants qui faisaient leurs ablutions matinales dans une anse du torrent, et les petits sauvages rentrent, à toutes jambes, à la maison.

Peu à peu la route s’anime de piétons et de chevaux de somme.

La contrée qui nous environne offre une succession non interrompue de gracieuses ondulations de terrain, descendant par degrés jusqu’à la mer. Celle-ci forme, en face de nous, un golfe arrondi, azuré, où brillent les falaises de l’île d’Inosima. La cime blanche du Fousi-Yama décore, au loin, le fond vaporeux du tableau.

Un dortoir dans une auberge du Japon. — Dessin de Thérond d’après un croquis de M. Roussin.

Partout la campagne est cultivée, parsemée de bosquets, entrecoupée d’eaux bondissantes sur lesquelles sont jetés de légers ponts cintrés. Des chaumières rustiques et des maisons de belle apparence, fraîchement vernies, ornées de jardins de fleurs, sont répandues en grand nombre le long de la route ou au penchant des collines, ainsi que des chapelles, des candélabres sacrés, des idoles de granit et des monuments funéraires.

Les abords de Kamakoura sont ceux d’une grande ville, mais la grande ville n’existe plus. Une végétation vigoureuse dessine çà et là les accidents d’un sol tourmenté, qui recouvre évidemment des décombres, des murs renversés, des canaux envasés. D’antiques allées d’arbres aboutissent à des terrains vagues, que les ronces ont envahis. Ces avenues conduisaient autrefois à des palais, dont il ne reste plus de trace. Au Japon les palais mêmes, étant en majeure partie construits en bois, ne laissent pas de ruines après leur chute.

C’est en ces lieux que les siogouns avaient établi leur résidence. On désignait sous le nom de siogouns, les généraux en chef, lieutenants temporels de l’empereur théocratique. Ils ont gouverné le Japon, sous la suprématie du mikado, de la fin du douzième siècle au commencement du dix-septième, depuis Minamoto Yoritomo,