Page:Le Tour du monde - 15.djvu/40

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le long du cours de ce fleuve ; cette apparence me prouve l’exactitude des renseignements que j’ai reçus des indigènes de l’Ounyoro, et de la bouche même de Kamrasi, à savoir que le Nil est navigable pendant plusieurs journées de navigation, à sa sortie du lac Albert. Les mêmes renseignements avaient précisément été donnés à Speke, auquel une observation barométrique révéla pour le niveau du Nil en cet endroit, une si grande différence avec celui que le fleuve avait à Karouma que le capitaine en conclut l’existence d’une dépression de mille pieds entre la base des rochers de Karouma et le lac Albert. Ainsi que je l’ai déjà démontré, cette dépression du sol doit être de mille deux cent soixante-quinze pieds.

Il m’est impossible de dépeindre la grandeur calme du paysage qui se déroule autour de la hauteur d’où nous avons pu confirmer les résultats de nos propres travaux et les suppositions bien fondées de Speke. Nous étions maintenant sur la route de retour suivie par lui-même et par Grant ; mais je crois qu’ils ont dû tourner la base de la montagne dont nous avons fait l’ascension ; les deux routes aboutissent au même endroit ; celle que nous prîmes nous conduisit à angle droit vers le Nil qui coulait au-dessous de nous.


Indigènes de Madi et du Lira.

En descendant à travers des jungles enchevêtrées d’épines, nous arrivâmes au fleuve et, tournant subitement vers le nord, nous suivîmes son cours pendant un mille environ et nous campâmes pour la nuit sur ses bords. Après avoir traversé la vallée située entre le Gebel Koukou et la chaîne occidentale, le Nil n’était plus le fleuve calme que nous avions vu au sud : de nombreuses îles rocheuses embarrassaient son cours, et des bancs de vase couverts de hauts papyrus obstruaient tellement le courant, que le fleuve n’avait plus qu’un mille de large, en y comprenant un labyrinthe d’îles, de rochers et les canaux intermédiaires. Sur une de ces îles couvertes de joncs, nous découvrîmes un troupeau d’éléphants, presque entièrement cachés par la hauteur des plantes. Comme ils s’approchaient du bord de l’eau, je déchargeai sur eux une vingtaine de fois ma carabine Fletcher, dont la portée est de six cents mètres, mais je ne pus ni les atteindre, ni même les effrayer ; ce fait peut donner une idée de la largeur du fleuve, car l’île paraissait en occuper le milieu.

Un peu plus bas, le Nil se resserre rapidement et devient enfin un torrent impétueux qui se précipite à travers une gorge étroite, entre deux falaises à pic, avec une force terrible. Dans certains endroits, ce grand fleuve est réduit, par sa prison de rochers, à une largeur de cent vingt mètres au plus. À travers ces écluses naturelles, la chute des eaux a quelque chose d’effrayant, mais on conçoit que pour un observateur vulgaire, venant du Nord, comme la plupart des voyageurs l’ont fait avant Speke, le Nil dans cette partie de son cours ne soit apparu que comme un torrent des montagnes ; d’autant mieux que je ne sache pas que personne ait tenu compte de l’impétuosité de son courant.

Après avoir traversé l’Asoua, environ à un quart de mille de son confluent, nous nous retrouvâmes sur le territoire des Baris.

Ces tribus voulurent nous arrêter dans un défilé ; mais elles tiraient si mal leurs flèches empoisonnées qu’elles