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vres prennent part à ces réjouissances, car il a été distribué à l’avance à tous les indigents des vêtements, de l’argent et des vivres. Disons aussi que c’est généralement à cette époque que se déclarent les fièvres intermittentes et d’autres maladies, causées par le passage subit du régime plus qu’ascétique du carême à l’intempérance et aux excès des jours gras.

Outre ces trois grandes fêtes canoniques, il y en a d’autres fort populaires en Roumanie : telles que la Saint-Basile, qui se célèbre le 1er janvier, la Saint-Georges (23 avril) et la Saint-Démétrius (26 octobre). Ces deux dernières, séparées l’une de l’autre par un intervalle de six mois, sont en Roumanie ce que sont chez nous la Saint-Jean et la Saint-Martin, l’époque ordinaire du renouvellement des baux pour le fermage des terres et le loyer des maisons.

Le premier dimanche de mai, les paysans valaques célèbrent encore, par tradition, la fête de Flore ; ils se rendent dans la prairie et la forêt voisines, se couronnent de fleurs et de feuillages et reviennent danser au hameau. De même, aux approches de l’été, ils plantent devant leurs chaumières une longue perche, surmontée de branches d’arbre et de foin, qu’ils appellent armindenu. C’est là, assure-t-on, une coutume romaine ; les colons militaires consacraient l’ouverture de la saison des combats en élevant à leurs portes un trophée qu’ils nommaient arma Dei ou Martis.

Les funérailles rappellent aussi par certains détails la plus haute antiquité. Dès qu’un malade est près de rendre le dernier soupir, on lui met un cierge allumé dans la main et on en allume plusieurs autres dans l’appartement, tandis que le prêtre récite à haute voix les prières des agonisants. Aussitôt qu’il est expiré, on le lave, on le rase, on lui couvre le visage, on le pare de ses plus beaux habits, puis on le dépose dans la bière, qui reste découverte, après avoir eu soin de placer une petite pièce de monnaie dans sa main. Les funérailles ont lieu ordinairement le jour même ou le lendemain du décès. Les riches y déploient une grande magnificence. Le char funèbre est traîné par deux ou quatre chevaux noirs, complètement recouverts d’un caparaçon de même couleur qui ne laisse voir que leurs yeux. Des vatasei, également couverts de manteaux noirs et coiffés d’énormes chapeaux à larges bords, marchent aux côtés du char tenant à la main des torches allumées ; deux autres précèdent le char en portant la corbeille qui renferme la colybe ou l’azyme, espèce de brioche bénite, que l’on mange en l’honneur des mânes du défunt ; derrière, deux épistates tiennent le couvercle de la bière, sur lequel est déposé le couteau du défunt en signe de droit de port d’armes. Si le convoi est celui d’une jeune fille vierge, on porte devant le char un mai d’où pendent des tresses de fils d’or, semblables à ceux dont les fiancées ornent leur tête au jour des épousailles ; si c’est un garçon, le mai est un jeune sapin auquel on attache des rubans de diverses couleurs. Derrière les épistates marchent les prêtres revêtus de leurs habits sacerdotaux, et suivis de la foule des parents et des amis, tenant chacun un flambeau dans la main. Le convoi, ainsi formé, s’arrête à plusieurs reprises avant d’arriver à l’église ; on pose le cercueil à terre ; les plus proches parents l’entourent, adressent au défunt les expressions les plus tendres, l’embrassent, lui demandent pardon pour tous les petits mécontentements qu’ils peuvent lui avoir causés durant sa vie, témoignent leur douleur par des regrets et des louanges qu’ils chantent en s’interrompant par des sanglots, en s’arrachant les cheveux et en déchirant leurs vêtements. Quelquefois ce rôle est rempli par des pleureuses à gages (præficæ), comme dans les funérailles de l’ancienne Rome.

De l’église, l’on se rend au cimetière, appelé ici le jardin des morts ; le cercueil est déposé sur le bord de la fosse, pendant que le prêtre récite les dernières prières et asperge d’eau bénite le cadavre, la terre et les assistants. Alors les vatasei recouvrent la bière de son couvercle et la descendent dans la fosse. La tombe est surmontée d’une croix de pierre ou de bois. Souvent, au pied de cette croix, est creusée une petite niche, fermée par une porte en fer, où les parents du défunt font brûler une lampe et où ils déposent de temps à autre de petits pains azymes.

Ce culte pieux et constant des mânes est la source d’abondantes aumônes. La religion sanctifie l’hospitalité, chère à la nation. Le jour anniversaire du décès, la famille distribue aux pauvres de l’argent, des vêtements, accompagnés de provision de gâteaux composés de froment cuit à l’eau, de noix broyées, de miel, et recouverts de sucre en poudre, que l’on a exposés pendant quelque temps dans l’église. C’est une coutume générale dans toute la Roumanie, comme dans les pays musulmans, de déposer sur le bord des routes et devant les portes des maisons des vases remplis d’eau pour le passant et le voyageur. Les plus riches, rapporte M. de Gérando, y ajoutent du pain. Ils donnent à cet usage le nom de pomane (pour les mânes), car ils espèrent que, s’ils soulagent eux-mêmes les vivants, ceux qu’ils ont perdus ne souffriront dans l’autre monde ni de la faim ni de la soif. Le livre de M. Ubicini, tant de fois cité par moi, abonde en touchants détails sur ces rites funéraires.

Lancelot.

(La suite à la prochaine livraison.)