Page:Le Tour du monde - 17.djvu/344

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chesse ; un peu plus de confiance en moi, et je promets que la ronce portera comme vous des fleurs odorantes. Je l’enterai d’un rosier franc ; vous en deviendrez toutes jalouses.

— Bon jardinier, lui répliquent les fleurs, le rosier sauvage peut changer de nature ; mais ceci n’est qu’une ronce, dont la queue, terminée en of, nous enlace déjà de ses plis. Qui sème mieux qu’un villageois ? qui mieux que toi, jardinier, peut voir ce que promet la traînasse ? Travaille moins à notre richesse, songe un peu plus à notre santé ! Prends l’arrosoir, laisse ton greffoir. Ronce est ronce, plante rongeuse et rapace ; et non plus que la traînasse, le proverbe le dit, ne la laisse jamais monter dans ta maison. Nous reconnaissons ton zèle, ton savoir, tes fatigues ; mais lance par-dessus la haie, de grâce, et la ronce et la traînasse ; elles ne peuvent que jeter parmi nous la discorde et l’anarchie, le désespoir et la mort. Gare la ton renom, je t’en prie. »

Ainsi lui dit chaque fleur.

« N’avez-vous pas fini, fleurettes ? taisez-vous ! ou je vous assène sur la tête un coup de plantoir. Le trou est fait ; mon honneur veut que j’y plante la ronce. » Ce disant, en dépit des fleurs il plante ronce et traînasse. Mais tout à coup le vent s’élève de l’ouest ; il souffle, siffle, tourbillonne, arrache la ronce, l’enlève, la fait pirouetter, la brise en mille pièces et la disperse. Une heure après, dans le jardin, toutes les roses dansaient en se donnant la main, et chantant : « Jardinier, prends garde à la traînasse dont chaque bras a mille nœuds et dont chaque nœud est un of, of par-ci, ef par-là ; gare les of ! gare les ef ! c’est une grêle, jardinier, qui te ruinerait en nous donnant la mort. »


Tziganes oursiers (ursarii). — Dessin de Lancelot.


LXX

tizmana.


Un curé de campagne. — Le monastère de Tizmana. — Un homme sous un moine. — Une prière. — Tchoclovin. — Souvenir des Turcs. — Un centenaire. — Un bandit orthodoxe.

Le lendemain, enchantés de l’hospitalisé officielle, nous partions pour le monastère de Tizmana, le dernier que nous devions visiter. Ce fut encore une journée bien remplie de descentes, de traversées de torrents, et d’escalades, car nous marchions à l’ouest-nord et rentrions dans l’encoignure que forme la chaîne des Carpathes en se rabattant brusquement vers le Danube. À l’heure du déjeuner nous nous arrêtions au milieu d’un gai village assez bien bâti le long de la grande route et plus animé que ceux que nous connaissions. Le pope, averti que des étrangers campaient dans la rue, vint nous prier d’entrer chez lui, mettant « son humble logis » à notre disposition. C’était un beau jeune homme de vingt-huit ans, blond, très-élégant dans son simple costume de paysan d’une blancheur et d’une propreté rares. La toque ronde et noire des moines était le seul signe qui indiquât son caractère de prêtre. Sa femme quitta à notre arrivée le métier sur lequel elle tissait une étoffe de couleur éclatante et d’un dessin très-particulier, et tous deux, quoi que nous en disions, aidèrent aux préparatifs de notre repas que nous apportions de Tirgu-Giulu, bonne précaution en ce pays. Le prêtre causa avec M. D. et lui tarifa les différentes fonctions de son ministère, qui lui rapporte peu, mais ne l’empêche pas de diriger les travaux d’une petite ferme fort bien tenue. Ce canton est fertile, les habitants libres et assez aisés. On ne paye guère que les enterrements en argent et ils peuvent rapporter un zwanzig (quatre-vingts centimes). Les mariages ne rapportent que bombances. Il nous dit avec un accent bien sincère que la cérémonie qu’il aime surtout à accomplir, peu ou point payée, c’est le