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XIII
Ardasa. – Les ponts du Charschüt-Tschaï. – Arrivée à Karatchoukour. – Les habitants. – Le choix d’un gîte.


Dans la journée nous arrivâmes à Ardasa ou Ardost, où je me séparai des loupeurs. Ce ne fut pas sans un serrement de cœur que je laissai derrière moi ces joyeux et hardis compagnons.

Ardasa est un petit village de khans et de boutiques, pittoresquement situe sur les rives du Charschüt-Tschaï. Il est dominé par un haut rocher, au sommet duquel on aperçoit les ruines d’une forteresse, dont les silhouettes étranges font songer aux châteaux des légendes fantastiques.

On rencontre quelques cultures dans les environs, mais on ne voit presque partout que pentes escarpées, terrains rocailleux, jaunes, gris et rouges, où croissent à peine de maigres buissons de chênes et de pins sylvestres.

J’attendis pendant un jour mon domestique et mes bagages, qui arrivèrent enfin à la suite d’une caravane, et le 15 mai, je partis pour Karatchoukour, situé à sept heures d’Ardasa. Le sentier très-étroit suit les flancs de montagnes où est profondément encaissé le lit du Charschüt-Tschaï, que nous passons sur deux ponts pittoresques, mais mal construits.

Après trois heures de marche, on rencontre un petit village semblable à une oasis. Une dépression de la montagne a permis d’y établir quelques champs d’orge.

Sur les haies d’épine-vinette et de buisson-ardent je recueillis quelques insectes intéressants, et, sur les noyers du chemin je tuai des geais mélanocéphales et des pigeons.


[Image]
Ma tente in Karatchoukour.


Après bien des détours, de montées et de descentes, nous passâmes devant un second village, puis devant un troisième, et enfin à travers une vaste gorge de la montagne ]’aperçus Karatchoukour.

Je n’avaís certes pas eu l’intention d’annoncer mon arrivée ; mais ayant tiré un coup de fusil sur une grive, le bruit de l’explosion fit arriver à ma rencontre quelques hommes et, parmi eux, un grand zaptié qui m’offrit immédiatement ses services.

J’eus lieu d’être surpris de la placidité des chiens du village, qui, au lieu de chercher à me dévorer ou à sauter d’un commun accord sur mon chien, comme cela nous arrivait ailleurs, vinrent doucement me souhaiter la bonne arrivée en remuant la queue.

Pendant que les hommes déchargeaient mon bagage, les enfants accoururent, et avec eux les femmes qui ne portaient pas de voiles, encore que le village fût entièrement habité par des musulmans.

Les enfants, à peine vêtus (quelques-uns même ne l’étaient pas du tout), me contemplaient d’un air effrayé. Ils faisaient peine à voir, tant ils tremblaient et grelottaient sous le froid, qui était assez vif. Comme tous les enfants qu’on nourrit exclusivement de laitage et de farineux, ils avaient des ventres énormes.

On m’offrit plusieurs gites, mais, dès le seuil, leur saleté me repoussait. J’étais donc fort perplexe, quand j’aperçus à une centaine de pas, sur une éminence, une petite cabane isolée qui, me dit on, servait de grenier ; il me parut que ce devait être mon affaire. Je décidai que mon domestique coucherait dans la cabane ainsi que mes chevaux et que j’établirais ma tente sous l’auvent. La situation était d’ailleurs magnifique. A mes pieds, le village s’étalait sur une pente doucement inclinée vers le torrent que je voyais scintiller dans la vallée. Au-dessus de moi, se dressaient les