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retraduits, comme je l’ai expliqué ailleurs, de l’un à l’autre des deux idiomes parlés par les premiers explorateurs de cette région. De Moorhead, station du futur « Pacifique du Nord », jusqu’à la petite ville de Breckenridge, le stage quitte le territoire du Dacotah et passe sur la rive droite de la rivière dans l’État de Minnesota. À Breckenridge je retrouve enfin, après deux mois et demi, le mode de locomotion des pays civilisés, le chemin de fer, ne regrettant du « stage » que mes excellents compagnons de voyage, trois ex-officiers confédérés, dont un créole missourien d’origine lorraine, le capitaine Aymon. Le 4 novembre 1873, après de courtes haltes à Saint-Paul, Chicago et Détroit, j’étais enfin de retour à Ottawa.

Digue de castors sur un affluent de la Rivière Rouge. — Dessin de Taylor, d’après une photographie.

Je retrouvais la capitale fédérale très-agitée : il y avait de nouveau ouverture du Parlement. Je revis le gouverneur général lord Dufferin se rendre en grand cortège à la chambre du Sénat et lire, dans les deux langues de rigueur, le « discours du trône » ; mais ce discours devait être le testament du ministre qui l’avait inspiré. L’affaire du « Pacifique » s’était envenimée durant la prorogation ; la Chambre des communes revenait hostile, — à une faible majorité il est vrai, — mais cela suffisait pour rendre impossible le maintien au pouvoir du cabinet Mac-Donald. Le lendemain de mon arrivée, un haut fonctionnaire me demanda amicalement si j’avais préparé le compte des dépenses de mon voyage. Je répondis que je ne l’avais pas encore établi. « Eh bien, me dit-il, dépêchez-vous et faites signer le mandat, pendant qu’il en est temps encore, par le ministre qui vous a confié votre mission ; son successeur aura tant à faire au début, que vous pourriez éprouver des délais fort désagréables. » Je suivis ce sage conseil et bien m’en prit. À midi mon mandat était acquitté ; à trois heures le ministère était démissionnaire.

Un mois plus tard, le jour même que retournant à Saint-Paul de Minnesota, où j’allais passer l’hiver, je réparais une lacune de mon voyage d’été en visitant les chutes du Niagara, je reçus une nouvelle bien faite pour me confirmer dans la philosophie de l’immortel précepteur de Candide. Si mes protecteurs fussent restés au pouvoir, je devais partir pour France par le premier transatlantique français de New-York. Ce transatlantique avait dérapé sans moi dans les derniers jours de novembre 1873. Hélas ! il n’est jamais arrivé au port. Il s’appelait la Ville du Havre.

H. de Lamothe.