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petite ville est gaie, malgré la sévérité du paysage. À travers les vallées des montagnes, dont les sommets étagés fuient dans la perspective à perte de vue, descendent les eaux courantes du Doubs et du Dessoubre, qui forment ceinture autour de la ville en se confondant : voilà Saint-Hippolyte.

Que le nid soit petit, je le trouve assez grand pour moi. Je préfère Saint-Hippolyte aux vastes cités, ses deux rivières aux larges fleuves de l’Amérique, ses montagnes aux grandes Alpes, son église aux plus hautes cathédrales. De l’espace qui m’est mesuré, je ne me plaindrai pas plus que de l’horizon borné de son cirque d’arbres et de rochers, pas plus que de sa décadence. C’était jadis une ville fortifiée, capitale du comté de la Roche ; un peu plus tard, c’était une sous-préfecture ; elle n’a plus même aujourd’hui l’importance et la population d’un gros village ; mais quelques familles de ses fondateurs comptent encore des rejetons vivaces qui gardent la mémoire de ses anciens souvenirs[1].

J’ose exprimer l’espoir, dès ce début, que le lecteur aura de la bienveillance pour mes redites, car il retrouvera peut-être ici le reflet et l’impression des paysages semés dans quelques romans qui ont pu lui tomber sous les yeux, dans le feuilleton ou dans le livre, et dont l’action se développe au milieu des merveilleux décors de la Franche-Comté.


Le monde avait sept merveilles ; Saint-Hippolyte peut se vanter d’en posséder autant dans un rayon assez rapproché. En première ligne, Roche-d’Or, le Saut-du-Doubs, Mandeure, le Château de la Roche, dans la vallée d’Or, le Fondereau, la Source du Dessoubre, et, pour finir, son église du moyen âge et son couvent[2].

En considérant Saint-Hippolyte comme le centre d’une circonférence formée par les plateaux-frontières de la Suisse, on en sort par quatre routes qui rayonnent en serpentant dans les vallées et les montagnes.

La première est celle que je venais de parcourir, et qui va de Saint-Hippolyte à Montbéliard. Elle suit le cours du Doubs depuis son confluent, où il reçoit le Dessoubre, en passant par Pont-de-Roide et en vue de Mandeure.

Mandeure est un village bâti sur les ruines de l’ancienne ville, l’Epamanduodurum des Romains, dont il est parlé dans les Commentaires de César. On peut voir encore, dans le voisinage d’un château féodal, les vestiges des temples, du théâtre, des bains dallés en marbre, d’un aqueduc et de deux ponts, ainsi que des débris de statues et de mosaïques. En fouillant ces ruines, qui sont classées au nombre des monuments historiques, on a retrouvé des médailles et des monnaies, ainsi que des armes et des ustensiles d’origine romaine.

La deuxième est une route escarpée, taillée en plein roc, au flanc de la montagne. Elle rejoint la route de Morteau par Maîche et le Russey. On l’appelle la route de Montandon, du nom du premier village qu’elle traverse.

À quelque distance de Saint-Hippolyte, après avoir suivi les premières spirales qui rappellent le passage du Mont-Cenis, on rencontre le Fondereau ou Fondoreau. Quand on arrive sur le plateau supérieur, on aperçoit bientôt Trévillers.

Le Fondereau est un passage qui semble infranchissable. À droite, la route est flanquée d’un rempart naturel de rochers colossaux, superposés à pic comme des falaises. À gauche est un précipice effroyable, dont la pente rapide, presque perpendiculaire, est couverte de morceaux de granit bleuâtre et d’arbustes rabougris. Cette aridité sauvage contraste avec la végétation puissante des montagnes, aux frondaisons assombries par le vert éclatant des pâturages ondulant à leur pied. Au fond, le Dessoubre bouillonne.

Depuis, des travaux d’art ont achevé l’œuvre de la nature. Les remparts granitiques ont été cuirassés d’une armure de pierre, la route a été coupée et reliée par un pont de bois miné, reposant sur des piliers en maçonnerie, et sous lequel on descend par un escalier suspendu au-dessus de l’abime.

Trévillers est un village bâti sur un immense plateau, aux grandes plaines largement ondulées. À droite s’étend une longue arête boisée de sapins, qui forme limite du côté de la Suisse. Au fond, on distingue les villages de Ferrières et de Damprichard. À gauche, des bouquets de sapins se détachent en noir, et on aperçoit une petite chapelle bâtie sur une élévation, Plus loin sont les Plains et Indevillers, près de la frontière du Doubs.

Les maisons, crépies à la chaux, la plupart à l’armature de planches, avec leurs toits rasant le sol et chargés d’énormes pierres pour résister au vent du nord, semblent se pelotonner contre la bise et tendre le dos à la neige. Autour du gros du village, dispersées comme des moutons éloignés du troupeau, sont des fermes isolées, séparées par des murs, des haies, des barres, des clôtures rustiques, entourées de potagers et de vergers aux arbres grêles. La végétation est sans force ; le vent de montagne brûle les plantes et les fleurs comme le vent de mer. Le bétail est aux champs. Le paysan pousse sa charrue lente qui laboure le granit. Sous l’horizon infini du ciel bleu,

  1. On trouve les noms patronymiques suivants à Saint-Hippolyte vers le milieu du quinzième siècle : les Faivre, les Boissard, les Babet, les Devillers, les Croslot, les Chenier, les Henriot, les Dominey, les Roi, les Buessard, les Eschappe, les Poulier, les Pétremand, les Guyot, les Boucon, les Virot, les Ceurtois, les Sauvageot, les Selorcet, les Gurnel, les Doyen, etc. (Monographie de Saint-Hippolyte-sur-le-Doubs, par l’abbé Richard, curé de Dambelin).
  2. Saint-Hippolyte est mentionné dans un document de l’année 1040. En 1303, on y établit un chapitre de chanoines. On voit, dans l’église, les tombes des anciens comtes. Elle posséda, de 1418 à 1452, le Saint-Suaire, qui a passé ensuite à Turin. L’ancien couvent des Ursulines a été fondé en 1618 (Monographie).