Page:Le Tour du monde - 62.djvu/7

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

2 LE TOUR DU MONDE.

ronnés d’une brume-épaisse. De 24 degrés, le thermomètre s’est abaissé à 14 degrés, avec un vent glacial. A 100 mètres on ne distingue plus rien. La sirène fait entendre à chaque minute ses lugubres beuglements. Nous venons d’entrer sur les bancs de Terre-Neuve : ce sera l’affaire d’une vingtaine d’heures. À la nuit, la température baisse encore ; l’eau de mer n’est plus qu’à 9 degrés, ce qui nous fait craindre le voisinage des glaces flottantes. Toutefois il ne semble pas que la marche du bateau ait été sensiblement ralentie.

19 juillet. — Les bancs sont bien loin derrière nous. Depuis hier nous sommes rentrés dans une zone tempérée. Ün bateau pilote vient d’être signalé. Je ne connais rien de plus gracieux que ces légères embarcations des pilotes américains, portant un long mât et deux voiles : de loin, on dirait des goélands sur la vague. Notre pilote est en mer depuis douze jours. Sa rétribution sera fort élevée, mais aussi quelle existence ! En toute saison, par n’importe quel temps, se risquer sur un frêle esquif à 300 ou 400 milles des côtes, pour happer un bâtiment au passage !

Dans la soirée le temps est superbe. Le piano est monté sur Je pont, et les danses se succèdent jusqu’à minuit. C’est à se croire sur la ligne des Indes ; car bien rarement l’Atlantique se montre d’humeur aussi débonnaire.

Le dimanche 20 juillet, à quatre heures, la côte de Long island est en vue à tribord. Quelques heures plus tard, se dessinent les hôtels, les casinos de Long Beach, de Rockaway Beach, de Coney Island. Dans l’obscurité naissante brille soudain le phare de la statue de la Liberté, tandis que, plus loin, se profile, illuminée par l’électricité, la courbe gigantesque du pont de Brooklyn. Mais nous n’entrerons pas aujourd’hui, car la nuit est arrivée, et dans la libre Amérique, surlout un dimanche, on ne peut débarquer le soir.

Le lendemain matin, à huit heures, la Normandie est amarrée au Wharf de la Compagnie transatlantique. Gomme je n’ai pour tout bagage que deux petites va-Uises pouvant à la rigueur se porter à la main, et qu’un express man me remettra pour 40 cents à l’hôtel, j’en ai bientôt fini avec MM. les douaniers, et je saute dans un tramway qui, pour 5 cents (25 centimes), prix unique pour ces sortes de véhicules des rives de l’Atlanuque à celles du Pacifique, me conduit en quelques minutes à l’hôtel Martin. C’est, dit-on,la meilleure maison française de New York.

Mon but, en entreprenant ce nouveau voyage d’Amérique, était de parcourir dans toute son étendue la nouvelle Higne transcontinentale du Canada, de faire une rapide excursion sur les côtes de l’Alaska, de visiter ensuite les États de l’ouest, le pare du Yellowstone, et d’effectuer mon retour par le MVorthern Pacific. Je savals que, vers le 1% août, le sicamer de l’Alaska devait quitter Victoria. Nous étions au 21 juillel : je n’avais donc guère de temps à dépenser en route.

Aussi, après avoir revu Broadway, la grande artère

de la cité, après avoir cireulé dans ces curieux chemins


de fer aériens — toujours 5 cents, comme dans les omnibus, — après avoir, au soleil couchant, contemplé du haut du merveilleux pont de Brooklyn les énormes ferries, les steamers colossaux, les innombrables bâtiments de toute forme, qui se croisent en tous sens sur l’’East River, pris-je la résolution de parür dès le lendemain matin pour le Canada.

J’aurais pu, de New York, me rendre directement par chemin de fer à Montréal ; j’avais même le choix entre deux lignes rivales. Mais, bien que pressé par le temps, je sacrifiai un Jour pour suivre un itinéraire beaucoup plus intéressant que celui de la voie ferrée, je veux parler de la route par bateau, sur le fleuve Hudson d’abord, puis sur les lacs George et Champlain. Je n’eus pas à le regretter.

Les vapeurs de l’Hudson sont parfaitement aménagés pour le confortable et l’agrément des nombreux passagers qui, journellement, font, sur ce beau fleuve, des excursions de plaisir. Selon l’usage américain, un orchestre est installé à bord. Ces batcaux se recommandent également par la rapidité de leur marche ; malgré le courant contraire, les 230 kilomètres qui séparent New York d’Albany sont franchis en neuf heures, temps d’arrêt compris. Il est vrai que Îles Américains sont expéditifs ; débarquement des malles ct des passagers, tout se fait en silence et vite.

Un temps magnifique m’a permis de jouir complètement du paysage, qui est réellement fort beau. En face de New York, le fleuve a plus d’un kilomètre de largeur ; à mesure que l’on s’éloigne, il s’agrandit encore. Sur la rive gauche on passe en revue une interminable série de débarcadères, puis une foule de charmantes maisons de campagne. Le territoire’de la ville de New York occupe, le long de l’Hudson, une étendue de 28 kilomètres, dont plus de la moilié est déjà construite. Plus loin, sur la rive droite, se dressent les Palissades, ligne continue de rochers perpendiculaires dont la hauteur s’élève progressivement de 60 jusqu’à 170 mètres.

Au sortir des Palissades, l’Hudson s’élargit considérablement. Au delà du promontoire de Croton, il s’épanche au loin, formant une large baie, à laquelle succède un défilé sinucux bordé de hautes montagnes boisées. Toute celte partie de son cours est exlrêmement pittoresque ; c’est là que s’élève, dans une situation ravissante à mi-côte et sur un plateau dominant le fleuve, l’école militaire de West-Point.

Plus haut, toujours sur la rive droite, voici Newburg, jolie ville de 20 000 âmes. Signalons, un pou plus loin, au-dessus de Poughkecpsie, autre ville importante, un nouveau pont de fer hardiment jeté sur l’’Hudson.

À six heures, on arrive à Albany. Le bateau, comme toujours, nous débarque à la gare même du chemin de fer ; les wagons nous altendent à dix pas du quai, et le train part aussitôL.

Je regrette de n’avoir pu visiter Albany, capitale de l’État de New-York, ville de plus de 100 000 habitants et qui renferme de remarquables monuments.