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loyauté. Ils manquaïcnt de témoignages sur l’expédition elle-même.

Heureusement, un témoignage a été fourni de la manière la plus intéressante par le survivant de la mission, M. Albert Nebout.

M. Nebout était chef de gare à Rufsque — sur le chemin de fer de Dakar à Saint-Louis — lorsque Crampel s’arrêta au Sénégal pour y recruter les laptols de sa mission. Bientôt mis ai courant de ses projets, M. Ncbout fut pris du désir ardent d’accompagner le jeune explorateur. Crampel se connaissait en hommes ; il vit luire dans les yeux de ce fonctionnaire une tranquille énergie, une fermeté raisonnée, en même lemps que l’esprit de discipline, Il lengagea ct ‘en fit bientôt, sous le titre de chef de caravane, son véritable second, à côté de Maurice Lauzière, qui était, lui, le collaborateur scientifique de la mission.

Or M. Ncbout prit | habitude de noter au jour le jour sur un carnet intime, destiné à sa famille, ses impressions et les incidents du voyage. Ces pages ont fourni plus lard la substance de l’intéressant et triste rapport que M. Nebout a fait sur la fin de ses camarades, et qui a déjà été publié. Néanmoins elles ont, dans leur sécheresse et dans leur simplicité, un tel charme de vérité, elles sont tellement à l’honneur de Crampel et de M. Nebout lui-même, qu’il m’a paru intéressant Ce les publier intégralement, afin de faire tomber d’une manière définitive toutes les erreurs el toutes les calomnies.

On verra dans ces pages sincères la physionomie véritable de la mission et de son chef. On apprécicra Ja netteté de vues de Crampel, ses qualités de commandement, sa prévoyance et sa lucidité, jusqu’au dernier moment. On discernera Îcs véritables causes de sa mort. On verra qu’on peut ainsi les résumer : malgré tous ses efforts, Grampel n’avait pu se procurer au Congo français le nombre de porteurs qui lui eût été nécessaire. Eu égard à la quantité de charges qu’il avait à transporter, cela l’obligeait à des séries d’allées ct venues qui rendaient le trajet interminable. Or Crampel savait qu’une expédition allemande était parlie de Cameroun pour le devancer. Il avait hâte de faire du chemin. L’espoir de rencontrer des animaux porteurs l’obsédait : il en parlait dans une de ses lettres. Aussi n’eut-il pas d’hésilation lorsqu’on lui signala les chevaux de « Tourgous » musulmans, à quelques journées de marche en avant, Il se hâta et, trompé d’abord sur les distances, ensuite sur les sentiments véritables de ses hôtes, il devint la victime d’une bande de coupc-jarrets. Pareille chose eût pu lui arriver sans qu’il s’éloignät beaucoup de Paris.

De même que Crampel avait été blessé, lors de son premicr voyage, parce qu’il élait parti sans ressources, sans compagnons et presque sans armes, de même le défaut de porteurs a été la seule cause véritable de sa mort,

Cela résulte avec évidence du récit que l’on va lire.

Et maintenant que deviennent les critiques des prolesseurs d’exploration ? Il aurait dû se procurer plus de


porteurs, dira-t-on. Oui, il l’aurait dû, et il le savait micux que personne et 1l ne la pas pu. {l’aurait dû marcher lentement avec toute sa troupe. Assurément, mais les Allemands de Cameroun menaçaient ses projets. Il ne pouvait prévoir qu’ils échoucraient. Et quant à la mort même de Crampel, toutes les critiques formulées peuvent se résumer ainsi : « Il a cu tort, puisqu’il a élé tué ». C’est d’ailleurs là une manière de voir très humaine, mais qui n’est ni équitab’e ni généreuse.

  • Heureusement, il y a quelque chose qui parle plus

haut encore que toutes les discussions, que tous les arguments, ce sont les faits ; le fait est que Crampel avait prévu sa mort ct qu’il avait floidement envisagée comme un événement Capab’e de rendre son idée populaire, Là encore, cet héroïque jeune homme avait vu juste. On peut dire que si l’idée de la « conquête du Tchad » est devenue si ponulaire, si tant de regards se sont lournés vers l’Afrique, si tant de pierres ont été depuis apportées à l’œuvre commune, c’est que la première avait élé sccllée de son sang !

H. À.

I

Départ du Sénégal. — À Libreville et à Loango. 3 avril 1890. —- On me dit aujourd’hui qu’une mis-

sion d’exploration a débarqué, il y a quelques jours, à Dakar, pour recruter dans la colonie des soldats indigènes. Les renscignements qu’on me donne sont très obscurs : je vais écrire à mon ami Leynaud de s’in-

former...

5 avril. — Mon ami m’a éerit ce qu’il sail au sujet

_ de cette mission :.« Le chef, M. Paul Crampel, est un

tout jeune homme ; dans un voyage au Congo, il a dé à exploré le pays des M’Fans, au nord de l’Ogooué. Il est suivi de plusieurs compagnons, dont un ingénieur,

“un naturaliste, un capilaine au long cours, un inter-

prèle arabe. Un Targui, venu d’Algérie, devra guider la mission à travers le Soudan. Le but de l’expédition serait d’explorer les vastes régions encore inconnues qui s’étendent de l’Oubangui au Tehad, de traverser le Sahara pour rentrer par l’Algérie.

6 avril. — Je ne fais, depuis hier, que songer à ce grand voyage. Penché sur la carte d’Afrique, j’étudie les pays que doit traverser la mission, et j’envie ceux qui partent.

7 avril, — J’ai vu M. Crampel : il allait à Saint-Louis, accompagné de ses agents et du Targui. Pen-dant l’arrêt du train, il s’est promené sur le quai de la gare, avec Le Targui et l’Arabe. Le guide, avec son costume étrange, faisait sensation ; de son visage, à demi voilé, on n’apercevait que deux yeux noirs, très sombres.

11 avril. — On parle beaucoup de la mission Crampel. M. Legrand, inspecteur au chemin de fer, déclare avec conviclion que tous Ceux qui parlent sont voués à la mort, qu’ils n’arriveront pas en Algérie.

12 avril, —- Le contrôleur Vallat m’apprend que