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Le uoyage des Princes


voix, que ſa mere ſuruint, qui m’ayant arraiſonné, me remöſtra qu’il eſtoit trop tard pour retourner à ieun, & me ſçeut tant perſuader que ie luy obeis, & demeuré à deſieuner auec elles : ô que grandes ſont les perſuaſions des vieilles qui font ſemblant de ſe ſoumettre, afin d’ḗlacer les eſprits qui croyḗt. Cette vieille me fit tant de ſeruices (ainſi ie les nomme, car il n’y a que les amans & les traiſtres qui ſe dilatent extremement afin de s’obliger les eſprits) me faiſant ſecher, chauffer, & popeliner ainſi qu’il en eſtoit de beſoin, d’autant que i’eſtois tout en ſueur, ſa fille l’auoit bien veu, mais la höte que ſa pudicité luy efcrit aux yeux, la retenoit, ſi qu’elle m’enuoyoit bien toſt, & cette vieille hardie, à laquelle il eſtoit ſeant de me gratifier mollettement, executoit en moy ce qui m’eſtoit neceſſaire, & qui l’aidoit à la trame d’acheuer ce qu’elle ourdiſſoit. Le repas champeſtre fut appreſté & preſenté : ie m’en ſoulagé à mon beſoin, puis ie pris congé des Dames, remportant auec moy l’innocence, auec laquelle i’y eſtois entré. Ie fus remis courtoiſement en mon chemin, & m’en allay auec la couſtumiere facon qui me guide en mes actionº, mais ie ne fus pas à deux cens pas de là, que ie ſenti l’effort du ſommeil qui me contraignit de luy obeyr, dont ie me iettay ſous vn arbre ſans election. Me voilà pris, ie ne ſcay qui ie fus, à qui ie me trouué recommandé, ny comment il m’aduint, car plein de venim ſomnifere, ie dormy profondement, puis le pouuoir dormitif eſtant ceſſé, ie m’eſueille, & me trouue non ſous des arbres où ie me ſouuenois m’eſtre endormy, ains en vne grotte creuſe, my-obſcure, ſei-