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PRELIMINAIRE. ix

aujourd’hui avec tant de bruit qu’ils font seuls un Dictionnaire de tonte la Langue , paroissent croire , au moins , que la même confiance a beaucoup trompé ceux qui l’ont eue avant eux.

Nous examinons la chose en elle-même.

Il n’y a presque pas de mot dans une Langue qui ne soit pris dans une multitude d’acceptions différentes ; d’analogie en analogie , un mot passe d’acceptions en acceptions ; dans les Arts qui se ressemblent le plus il reçoit des acceptions très-variées ; dans la bouche même de l’Orateur , de l’Historien et du Poète, déjà il a des nuances que le goût distingue beaucoup, quoiqu’elles soient légères ; et les Arts les plus éloignés l’un de l’autre , des Métiers qui n’ont aucun rapport ensemble , s’en emparent : enfin , tous les Esprits , tous les Talens , tous les Arts , tous les Métiers , travaillent sur chaque mot d’une Langue , avec ce mot et autour de ce mot. Dans le même mot il y a mille expressions ; et un Dictionnaire n’est bien fait , que lorsque ces mille expressions sont saisies et rassemblées autour du mot qui en est devenu le si"ne. Est-ce un seul homme, étranger nécessairement à tant d’usages du même mot , qui les connoîtra tous ? Et n’est-il pas plus raisonnable d’attendre cette connoissance de trente ou quarante hommes , dont les études , les travaux et les talens sont partagés entre tous ces Arts et toutes ces Sciences ; qui ont rencontré cent fois toutes ces acceptions des mots dont l’origine commune , en s’effaçant de nuance en nuance , finit souvent par entièrement se perdre F Quarante hommes , éclairés dans beaucoup de genres , peuvent être regardés en quelque sorte , comme les Représentais d’une Nation , chargée p;ir elle de recueillir et de sanctionner toutes les acceptions qu’elle donne à tous les mots. On ne peut pas supposer , que cette espèce de mission universelle soit donnée à un seul homme , toujours incapable de la remplir , par cela même qu’il est seul. Cette vérité , évidente pour tout le monde , frappera bien davantage ceux qui ont assisté à des discussions entre plusieurs personnes sur les mots et sur les acceptions qu’ils reçoivent dans une même Langue. Chacun de ceux qui ont parlé est tenté de croire qu’il a tout vu ; à l’instant où un autre commence à discuter , chaque parole ouvre des points de vue qu’il eût été impossible à tous de soupçonner : à mesure que le nombre de ceux qui parlent s’augmente , les points de vue et les acceptions augmentent aussi , et dans une progression beaucoup plus grande ; les idées que chacun enti-nj lui en rappellent ou lui en font naître de nouvelles : ceux qui ont une mémoire lente et paresseuse , sont étonnés de l’activité qu’elle reçoit d’une mémoire plus prompte et plus étendue ; des souvenirs effacés se l’éveillent ; des, exemples perdus se retrouvent ; tous croyent apprendre pour la première fois la Langue que toute leur vie ils ont étudiée. Si l’on réfléchit actuellement entre quels hommes de pareilles discussions ont eu lieu si long-temps au Louvre ; et si l’on est juste ; si l’envie et la haine ne poursuivent pas les Académiciens à travers les tombeaux des Académiciens , Tome I. b