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mots, les lignes vont se succéder sans trêve pendant sept heures, apportés par la main droite, qui se promène des différents compartiments de la casse au composteur avec une rapidité que l’œil a peine à suivre. C’est véritablement chose merveilleuse que la dextérité avec laquelle les phrases de l’auteur, souvent illisibles et hiéroglyphiques, sont alignées à la dimension de la colonne du journal en beaux caractères métalliques, égaux et corrects.

Cent cinquante à deux cent mille de ces caractères déliés, fins, prismatiques, sont ainsi maniés journellement pour la composition d’un journal ordinaire, et journellement le même nombre de pièces se reclasse dans la casse après chaque tirage.

Cependant la copie ne cesse d'arriver, tantôt par articles complets, tantôt feuillet par feuillet. Pour s’y reconnaître, le metteur en pages cote tout cela, au crayon bleu, au crayon rouge, au crayon noir, taille, divise et distribue quelquefois les feuillets d’un même article en vingt mains différentes, 6, 8, 10, 12 lignes au plus par homme ; puis les ordres, les questions : « 2-A ? 3-A ? Qui a le 5-B ? Réunissez les D ! A-t-on fini la tête des C ? »

Voici un article terminé. Les tronçons en sont rassemblés suivant l’ordre de leur cote sur une planchette à rebord, la galée ; le paquet est ficelé et prêt pour l'épreuve. La presse attend, un vrai joujou, qui occupe une petite place à l'extrémité du marbre. Le rouleau en gélatine, chargé d'encre, passe sur l'œil de la lettre, un morceau de papier lui succède, la presse fonctionne, et l'épreuve en sort pour les correcteurs, qui la lisent et zèbrent ses marges de signes cabalistiques. Les compositeurs reprennent le paquet, exécutent les corrections ; puis, nouvelle épreuve, qui, cette fois, va aux