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les mille nuits et une nuit

nuits de bonheur. Et je vécus de la sorte dix années, aussi belles que la première nuit nuptiale.

Mais, ô mon maître, qui peut savoir ce que lui réserve le sort du lendemain ? Or, moi, au bout de ces dix années, qui passèrent comme le songe d’une nuit tranquille, je devins la proie de la destinée, et tous les fléaux à la fois s’abattirent sur le bonheur de ma maison. Car, en l’espace de quelques jours, la peste fit périr mon père, le feu dévora ma maison, et les eaux de la mer engloutirent les navires qui trafiquaient au loin de mes richesses. Et pauvre, et nu comme l’enfant au sortir du sein de sa mère, je n’eus, pour toute ressource, que la miséricorde d’Allah et la pitié des Croyants. Et je me mis à fréquenter la cour des mosquées, avec les mendiants d’Allah ; et je vivais dans la compagnie des santons aux belles paroles. Et il m’arrivait souvent, dans les plus mauvais jours, de rentrer au gîte sans un morceau de pain, et, après avoir jeûné toute la journée, de n’avoir rien à manger pour la nuit. Et je souffrais à l’extrême de ma propre misère et de celle de ma mère, de mon épouse et de mes enfants.

Or, un jour qu’Allah n’avait envoyé aucune aumône à son mendiant, mon épouse ôta son dernier vêtement et me le remit en pleurant, et me dit ; « Va essayer de le vendre au souk, afin d’acheter à nos enfants un morceau de pain. » Et moi je pris le vêtement de la femme, et sortis pour aller le vendre, sur la chance de nos enfants…

— À ce moment de sa narration, Schahrazade vit apparaître le matin et, discrète, se tut.