Page:Le proces Zola devant la cour d assises de la Seine et la cour de cassation, Paris Bureaux du Siècle etc , 1898, Tome 1.djvu/116

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M. le Président. — Vous venez d’entendre la question ?

M. Scheurer-Kestner. — J’ai eu plusieurs entretiens avec M. le Président du Conseil dans les premiers jours du mois de novembre. A M. le Président du Conseil, j’ai tout dit, tout ce que je savais, tout ce que j’avais appris ; j’ai offert la communication des lettres échangées entre le général Gonse et le colonel Picquart ; car, à M. le Président du Conseil, j’étais autorisé à le lui dire.

Voilà ma réponse.

Me Labori. — Est-ce que M. Scheurer-Kestner voudrait bien encore nous dire dans quelles conditions fut lancée la dénonciation de M. Mathieu Dreyfus contre M. le commandant Esterhazy, et si M. Mathieu Dreyfus n’a pas eu avec lui une conversation dans laquelle il lui a révélé le nom de M. le commandant Esterhazy, qui était venu à sa connaissance par une voie tout à fait différente de celle par laquelle le même nom était venu aux oreilles de M. Scheurer-Kestner ?

M. le Président. — Vous venez d’entendre la question.

M. Scheurer-Kestner. — Je n’avais prononcé le nom du commandant Esterhazy devant personne au monde.

Je n’en avais parlé qu’au gouvernement, lorsque, le 12 novembre, — je puis me tromper d’un jour, je crois bien que c’est le 12 novembre — je reçus un petit mot de M. Mathieu Dreyfus me priant de le recevoir chez moi.

Je n’avais pas de relations avec M. Mathieu Dreyfus ; il n’était jamais venu chez moi qu’une seule fois, de suite après la condamnation de son frère ; je ne l’avais jamais revu, je ne le connaissais pas. Il me fit présenter sa carte — il était neuf heures ou neuf heures et demie du soir — en me faisant dire qu’il avait à me communiquer une chose des plus importantes.

Alors, il monta chez moi, et voici le récit qu’il me fit : Un M. de Castro, qu’il ne connaissait pas du reste, se promenait au boulevard au moment où l’on vendait des placards sur lesquels se trouvait la « preuve de la trahison », etc., des portraits des deux côtés, et au milieu le fac-similé du bordereau. M. de Castro, qui est un étranger, que cette question n’avait pas intéressé jusque-là, acheta par désœuvrement ce numéro, et dès qu’il l’eut en mains — je me sers d’un mot dont il s’est servi quand il m’a raconté lui-même l’histoire plus tard — « j'ai eu un éblouissement, dit-il. Je suis rentré chez moi, j’ai pris la liasse des lettres d’Esterhazy que j’avais dans mon bureau (une trentaine ou une quarantaine) et j’ai constaté que je ne m'étais pas trompé : le bordereau était bien de lui ! »

M. de Castro courut chez M. Mathieu Dreyfus, et c’est après cette communication de M. de Castro que M. Mathieu Dreyfus est venu me trouver le soir pour me dire ceci :

— « Vous devez connaître l’auteur du bordereau ? On a dit que vous vous occupiez de cette affaire depuis très longtemps : vous cherchez partout des renseignements. Eh bien ! Vous devez savoir quels sont ceux que l’on a substitués ou cherché à